PRÉFACE

Parmi les nations du continent, le peuple belge fut le premier à prévoir la grande utilité des chemins de fer, à pressentir l'influence énorme que ceux-ci devaient exercer sur le sort de l'espèce humaine. Pratiques avant tout, les Belges conformèrent leurs actes à leurs prévisions ; c'est pourquoi ils furent aussi les premiers à doter leur pays d'un important réseau de voies ferrées. Ce fut l'un des premiers fruits de l'indépendance qu'ils avaient récemment conquise.

La première ligne fut inaugurée en 1835.

Depuis lors, en cinquante ans, les chemins de fer (avec l'aide de la vapeur et de l'électricité) ont renouvelé la face du monde, notamment en Belgique. C'est surtout dans ce pays que l'on peut dire : si la vie n'est qu'une succession d'actions et d'impressions, nous vivons maintenant deux fois plus qu'en 1835.

Le réseau des chemins de fer de la Belgique, construit assez rapidement, n'a pas cessé d'être le plus serré de tous. Conséquence : énorme développement de richesses et accroissement rapide de la population, qui est la plus dense de l'Europe.

Gouvernements et nations, admirant ce petit peuple, qui leur montrait le chemin du progrès, suivirent son exemple. Ainsi se développa et fut même suscité, à l'étranger, le grand mouvement qui conduit l'espèce humaine à ses hautes destinées.

A l'approche du cinquantenaire des chemins de fer belges, la nation jugea qu'il convenait de le fêter avec éclat, d'une façon mémorable.

Les membres de la Bourse des métaux et des charbons se dévouèrent dans ce but. C'est ainsi que furent décidées et réalisées l'organisation et la mise en marche du cortège historique des moyens de transport.

Les fêtes nationales annuelles de 1885 coïncidèrent et se confondirent avec celles du cinquantenaire. La sortie du cortège, principal attrait de ces fêtes, eut lieu le 16 et le 23 août 1885.

C'est en avril 1884 que le Syndicat de la Bourse des métaux et des charbons se proposa de fêter le cinquantenaire des chemins de fer belges, et prit l'initiative des mesures opportunes.

Un subside de 125.000 francs fut demandé au Parlement, à titre de contribution aux frais du cortège. Les élections de juin 1884, qui vinrent écourter la session législative, ôtèrent aux représentants de la nation le temps de voter, en 1884, la dite allocation ; mais elle fut accordée en mars 1885.

La ville de Bruxelles accorda 25.000 francs pour le même objet.

La Commission définitive qui assuma dès lors la responsabilité de l'entreprise, était formée comme il suit : M. Ernest Rolin, industriel, à Braine-le-Comte, président de la Bourse des métaux et des charbons ; M. Emile Mestreit, secrétaire de la même association ; M. Alphonse Carels, industriel, à Gand ; M. Victor Closset, industriel, à Bruxelles ; M. Arthur du Roy de Blicquy, industriel, à Bruxelles ; et M. Léopold Laporte, industriel, à Flénu.

Ces messieurs déléguèrent la direction de l'œuvre à M. Emile Mestreit.

L'influence, le zèle et l'habileté de la Commission et de son délégué leur valurent de précieuses collaborations, dans l'armée, chez les artistes, chez divers industriels et chez d'autres particuliers. Dévouement patriotique et désintéressement se donnèrent carrière largement.

Nous saluons en passant les hommes éminents et généreux qui dirigèrent cette grande et difficile entreprise, et ceux qui apportèrent à celle-ci une importante coopération. Parmi ces divers personnages, il en est plusieurs qu'on ne saurait trop louer.

Un éclatant hommage est dû tout d'abord à M. Rolin, président de la Commission organisatrice, et à M. Mestreit, délégué.

Après ces messieurs, nous devons citer au premier rang, parmi les collaborateurs artistes :

MM. Victor Lagye, Joseph Gérard et Gustave den Duyts, qui dessinèrent tous les groupes ;

M. Alexis Snutsel, carrossier, à Bruxelles, dont la compétence dans les choses de sa profession fut très appréciée ;

Et MM. Victor Mahillon, Huberti et Bender, qui s'occupèrent de la partie musicale.

Au premier rang aussi M. le major Bertin, commandant en second de la place de Bruxelles ; et M. Leurs, capitaine commandant d'artillerie. Ces messieurs recrutèrent et dirigèrent le personnel et la cavalerie.

Nous reviendrons dans une note spéciale sur les coopérations obtenues. Pour le moment, laissons de côté ces détails d'organisation, pour parler des résultats.

Dans le cortège figurèrent les appareils de locomotion les plus variés, depuis le radeau des temps primitifs jusqu'aux puissantes locomotives d'aujourd'hui, depuis les plus simples appareils jusqu'aux carrosses luxueux.

Cette exhibition fit voir que, jusqu'à une époque très rapprochée du temps présent, la plupart des véhicules du passé manquaient de confortable, mais non pas d'élégance ni même de luxe. Plusieurs étaient fort beaux, et l'art y resplendissait.

Un nombreux personnel, vêtu des costumes marquant les grandes divisions de l'histoire, occupait et accompagnait les véhicules correspondants, avec le petit matériel de voyage, les armes de combat, les instruments de musique, etc...

Un immense concours de curieux accourut, même de pays fort éloignés, contempler ce grand spectacle (note III). Celui-ci produisit une impression profonde et suscita un vif enthousiasme.

Cet effet se répandit bien vite chez les assistants de tout âge et de toute condition. Les anciens et les grands n'étaient pas les moins ardents à marquer leur satisfaction. C'est ainsi que M. le baron Lambermont, ministre d'Etat, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, dit avec feu, en parlant aux organisateurs du cortège : «Messieurs, vous avez conquis le monde !»

L'émotion fut grande surtout au passage du train de 1835. Grâce à la fidélité de la reproduction (des costumes aussi bien que de tout le reste), ce train offrait aux spectateurs le souvenir et même l'image de leurs aînés, de leurs parents, de leurs grands-parents.

Les vieillards s'y revirent eux-mêmes... rajeunis de cinquante années !

Remonter ainsi quelquefois le cours de l'existence offre un charme pénétrant et tout particulier... même quand nous rétrogradons en deçà de l'époque où commença notre propre vie. Nous avons pu ainsi retourner en esprit jusqu'à l'enfance de l'humanité terrestre. Le tout était si vrai, si vivant, qu'il inspirait le sentiment d'une résurrection. Ajoutons que finalement, grâce à la comparaison, nous sentions mieux que naguère le bien-être d'aujourd'hui. Résultat supplémentaire qu'on n'avait pas eu en vue, mais qui n'en mérite pas moins d'être ici rappelé.

Ce magnifique cortège de l'histoire vivante défilait lentement, mais encore cent fois trop vite au gré des spectateurs. Devant toutes ces visions merveilleuses du passé, qui se suivaient comme dans un rêve, la foule éblouie fut mainte fois tentée de s'écrier : Arrêtez !... arrêtez-vous !

Le beau rêve s'est évanoui. On a bien songé à conserver toutes ces richesses, à en former un musée ; mais la chose n'a pu se faire. Tout a été éparpillé au vent des enchères.

Mais nous avons voulu qu'un spectacle si beau et si intéressant, qui fut en quelque sorte sans précédent, ne fût pas sans lendemain ; nous voulons que la grande mise en scène qui coûta tant d'efforts, de talent et de génie, ne puisse tomber bientôt dans l'oubli. Celui-ci sera évité durant un long avenir ; désormais chacun pourra voir - ou revoir - le fameux cortège ; chacun pourra le faire défiler sous ses yeux, - aussi lentement, aussi souvent qu'il le voudra, - grâce au présent album.

Cet ouvrage transmettra aux âges futurs le souvenir de la création des chemins de fer, l'un des plus beaux titres de gloire de la nation belge. Il sera une agréable et touchante relique, non seulement pour les personnes en âge d'avoir assisté à l'inauguration des chemins de fer et pour celles qui ont vu le cortège, mais aussi pour leurs descendants.

Nous devons faire observer que les aquarelles de M. Heins, tout en étant d'une très grande exactitude, sont présentées autrement qu'en cortège : chaque véhicule, avec ses personnages, se trouve placé dans un milieu qui est en harmonie avec lui, au double point de vue de l'époque et du lieu. L'habile artiste a ainsi accru le charme de chaque reproduction, en lui donnant de la vie et de l'animation.

Puisse tout Belge qui possédera cet album montrer avec orgueil - aux étrangers aussi bien qu'aux nationaux - ce durable élément des fastes de sa nation !

R.

 


CHAPITRE PREMIER

Une histoire des moyens de transport serait, sans doute, un ouvrage bien curieux.

Mais ce serait aussi un ouvrage considérable.

Le développement des moyens de transport est si bien enchevêtré dans le développement de la civilisation, les deux ont si bien réagi l'un sur l'autre, que l'exposition complète du premier aurait nécessairement pour fond de tableau l'exposition du second.

C'est si vrai que le moyen le plus expéditif qu'on ait encore trouvé pour civiliser une région sauvage, c'est d'y établir un chemin de fer. Voyez ce que les chemins de fer ont fait en quelques années de l'Amérique septentrionale.

Cette histoire devrait embrasser, pour faire bien, la locomotion sur la terre, sur l'eau et dans l'air.

Elle devrait en suivre les perfectionnements depuis le radeau et le canot primitifs jusqu'à nos grands steamers, nos cuirassés et nos torpilleurs ; depuis Icare, les Prophètes et les thaumaturges qui s'enlevaient de terre jusqu'aux derniers hommes volants et aux plus récentes expériences sur la direction des ballons.

Sans même aborder ces spécialités, il faudrait examiner par quelles transformations innombrables le rouleau qu'on insinua d'abord sous un fardeau à déplacer donna lieu à toutes les voitures que nous voyons aujourd'hui, et comment naquit l'idée de faire rouler certaines voitures sur des rails et de les faire mouvoir par la vapeur.

Il faudrait dire comment certains moyens de transport, - les litières et les chaises à porteurs, par exemple, - ont disparu de notre état social et comment certains autres, - autrefois généraux, comme l'équitation, - ont tellement perdu de leur importance qu'ils ne sont plus guère employés, dans les centres civilisés, que pour certains usages particuliers, comme la guerre et la chasse, ou en guise d'exercice.

Il faudrait noter toutes les circonstances historiques qui ont modifié les véhicules et toute l'influence que les véhicules ont eu sur les événements historiques.

Il faudrait tenir compte de toutes les relations qui ont existé entre l'usage des voitures et l'état des voies de communication, et montrer que les voitures se sont multipliées quand les routes étaient bonnes, et que l'on a souvent amélioré les routes pour faciliter la circulation des voitures.

Il serait curieux, surtout, de considérer l'influence du luxe, de la mollesse et de l'ostentation sur l'amélioration des moyens de transport, et comment les recherches, tout égoïstes, des puissants et des heureux du monde, leurs folies mêmes, ont produit des améliorations qui tombèrent peu à peu dans le domaine public et contribuèrent au bien-être général.

Comment, par exemple, les ressorts de plus en plus perfectionnés, qui furent appliqués aux voitures particulières des riches, passèrent aux voitures publiques, lorsqu'il en eut été fait une expérience suffisante.

Comment ces ressorts qui ne devaient servir qu'à épargner les cahots aux grands personnages rendirent, subsidiairement, le roulement des voitures plus facile et eurent pour conséquence la réalisation d'économie générale sur la traction de toutes celles auxquelles ils étaient appliqués.

Il faudrait parler des progrès successifs de l'industrie qui ont permis à la carrosserie d'atteindre sa supériorité actuelle. Il serait curieux d'étudier ce que l'usage des voitures apporta de détails nouveaux à la vie, de changements au costume, à l'architecture, à tout l'arrangement de l'existence.

Ramée, dans son Histoire des chars, carrosses, omnibus et voitures de tous genres, observe que ce fut seulement au XVIIme siècle que l'on mit aux hôtels des portes assez larges pour laisser passer les carrosses et qu'on en agrandit les cours pour qu'ils y pussent évoluer. Il s'ensuivit toute une révolution dans la disposition des bâtiments.

On rapporte qu'Henri de Clermont-Tonnerre fit faire une petite porte à son château pour que le roi Charles IX, qui ne le voulait pas recevoir avec son carrosse, ne pût entrer en carrosse chez lui.

Il faudrait suivre encore l'évolution des différents véhicules, rechercher comment les formes des plus anciens persistèrent traditionnellement dans les formes de ceux qui y succédaient.

Ainsi, dans les coches du XVIme siècle, se perpétua la forme de la longue charrette rustique, de provenance allemande, d'où ils tirèrent leur origine.

Ainsi, on esquissa à la surface des diligences la façon des chaises j de poste et des berlines qui les avaient précédées, et cette forme se retrouvait dessinée, il n'y a pas si longtemps, sur les voitures de chemin de fer divisées, comme les diligences, en compartiments successifs. On chargea d'abord les bagages au-dessus des voitures de chemin de fer, comme on les avait chargés sur les diligences. Les fourgons ne furent inventés que plus tard.

Il faudrait comparer les avantages respectifs des transports sur les canaux et des transports par les chemins de fer, faire quelques conjectures sur l'avenir des ballons et même sur les inventions éventuelles qui détrôneront nos chemins de fer déjà trop lents à notre gré.

Qui sait si - comme les personnages du livre de Jules Verne - nous ne voyagerons pas quelque jour dans des boulets monstres expédiés par des canons formidables et recueillis à l'arrivée par des ressorts suffisants ?

Frontispice. - Bourse des métaux et des charbons.

Qui sait même si dans quelques milliers d'années on ne considérera pas les voyages et les déplacements comme quelque chose d'absolument grossier et ridicule, et si l'on ne trouvera pas le moyen de voir les choses et les hommes lointains sans sortir de sa chambre comme on peut entendre déjà la musique et les voix à deux ou trois cents kilomètres à la ronde, sans bouger de son fauteuil ?

On devine ce que le plan seul d'un pareil ouvrage offrirait de complication.

Aussi n'ai-je visé à rien de si élevé dans la courte notice que la maison Rozez m'a demandée pour servir de commentaire à l'Album publié par elle pour rappeler l'admirable cortège historique qui s'est déroulé cet été dans les rues de Bruxelles.

Le temps m'a été mesuré et je n'ai pas pu consulter assez de documents ni faire assez de recherches pour avoir la prétention de présenter un travail de grande originalité.

Il n'y aura rien d'étonnant à ce qu'on découvre que j'ai tiré beaucoup de renseignements des ouvrages existants, et notamment de : The history of coaches, de G. A. Thrupp, l'Histoire des voitures, de D. Ramée, les Merveilles de la locomotion, de E. Deharme, le Dictionnaire du mobilier, de Viollet-Leduc, et de passages variés d'autres Dictionnaires, de Revues, etc... Je n'ai guère fait que noter, réunir et résumer les traits les plus intéressants que j'y ai rencontrés.

Du reste, j'ai été frappé du peu de données particulières que m'ont offertes les différents ouvrages que j'ai consultés et des nombreux traits qui y sont communs. La plupart ont évidemment puisé aux mêmes sources et ces sources ne doivent pas être nombreuses.

On voudra donc bien ne voir ici qu'une notice rapide, où les considérations techniques ne sont qu'effleurées ; me tenir compte de ce que j'ai pu y introduire de mon cru sans me chercher chicane sur ce que j'ai emprunté à autrui et n'y voir pour employer la formule connue, qu'un abrégé «à l'usage des gens du monde». Je ne me suis pas imposé d'autre programme.

Temps primitifs. - Sonneurs de conques. - Radeau.


CHAPITRE II

Les auteurs remarquent avec raison, que l'origine des véhicules est enveloppée d'obscurité. Si je ne craignais d'adopter le style tintamarresque, je dirais que cela dérive sans doute de ce qu'elle se perd dans la nuit des temps.

En consultant les ouvrages en langue sanscrite et en remontant dans la plus haute antiquité, on voit figurer dans les récits des batailles des hommes montés sur des chars traînés par des chevaux ou par des bœufs. De même dans les documents que nous ont laissés les Assyriens, les Egyptiens, les Grecs, les Perses, les Scythes, les Cimbres et les Goths. C'est un usage qui se perpétue bien longtemps.

Chez les Grecs, le char se répand de la vie guerrière dans la vie civile. Il apparaît dans les jeux olympiques et les cérémonies publiques et d'Olympie passe à Rome.

Mais ces chars de la plus haute antiquité sont déjà des machines très perfectionnées. Nous avons encore une multitude de charrettes qui ne valent pas mieux et Shakespeare, avec toute son imagination, ne donne pas à la Reine Mab une voiture plus compliquée.

C'est l'invention des roues qui est le grand pas.

Le traîneau et la claie précédèrent les véhicules à roues. Il est moins fatigant de traîner un fardeau sur le sol que de le porter. Mais beaucoup d'objets ne se prêtent pas au traînage sans se détériorer. D'ailleurs, il importe que la surface frottant sur le sol soit lisse. D'où l'idée d'intercaler entre l'objet et le sol, une claie ou un traîneau.

Le traîneau se compose essentiellement de deux semelles ou patins parallèles fixés l'un à l'autre. Le plus ancien traîneau dont le souvenir nous soit resté, est représenté paraît-il, dans un temple à Thèbes, en Egypte. Il est tout pareil à ceux des brasseurs d'aujourd'hui de Londres : deux longs patins, légèrement recourbés vers le haut sur le devant, et une demi-douzaine de traverses pour les réunir et supporter ce qu'on veut mettre dessus.

Les forêts dans les pays de montagnes sont encore exploitées par traîneaux. Quelques branches d'arbres réunies par des liens tordus constituent la machine ; les lits des ravins sont les chemins suivis et les pierres qui roulent dessous aident à la descente. Arrivé au bas de la côte, le bûcheron démolit son traîneau, en fait un paquet, le remonte sur ses épaules, et le raccommode, en haut, pour descendre une autre charge de bois.

Parfois le chemin est formé de rondins de sapin couchés et fixés en travers du chemin.

On franchit encore en traîneau quelques passages des Alpes et des Pyrénées, et, à Madère, le traîneau est le véhicule normal. Sur la neige, les traîneaux passent mieux que les voitures. Ils glissent avec facilité où les roues enfoncent et résistent.

Il y a une centaine d'années, en Angleterre, le foin nouveau était conduit à la ferme sur des traîneaux, et l'on rencontre encore dans nos campagnes de petits traîneaux pour les courts transports à travers champs.

Le traîneau a un contemporain aquatique, le radeau, qui fut le premier des moyens de transport sur l'eau. Les bûcherons qui ont conservé le traîneau primitif pour descendre le bois des montagnes dans la vallée, continuent aussi à employer le radeau ; des amas de perches ou de troncs d'arbres reliés entre eux sont abandonnés au cours des torrents et des rivières rapides qui les conduisent, sans frais, dans les basses vallées.

L'Egypte eut de bonne heure des monuments faits de pierres massives qu'il fallut transporter sur des traîneaux et des rouleaux. Elle fut des premières, sans doute, à combiner les deux éléments, qui constituèrent une charrette.

Le rouleau recule par rapport à l'objet qu'il supporte. La roue suit cet objet. Mais la roue ne va pas sans essieu. La substitution de roues et d'essieux aux rouleaux fut une grande invention. Quelque primitifs que soient les essieux et les roues que nous considérons, elles constituent, eu égard aux rouleaux, un progrès énorme.

D'abord, les roues furent des tranches de tronc d'arbre, toutes massives et solidement fixées aux essieux. Roues et essieux tournaient ensemble, et les essieux étaient retenus dans leur position, sous la caisse, par de fortes chevilles fixées à celle-ci.

On fait encore des charrettes de cette façon en Portugal, en Espagne et dans l'Amérique du Sud.

Toutes les charrettes primitives semblent avoir eu un timon et avoir été traînées par deux bêtes au moins.

Chez les peuples nomades, la charrette était la maison, le foyer que la famille menait à sa suite. Avant d'avoir une charrette, l'homme primitif qui changeait de résidence chargeait ses ustensiles et ses armes sur le dos de sa femme ; plus tard, il mit sa femme et ses enfants, avec son ménage, dans la charrette. On voit l'amélioration.

Temps primitifs. - Traîneau. - Chevaux porteurs.

Pourquoi les objets sont-ils plus faciles à mouvoir sur des rouleaux ou sur des roues que sur des patins ? Deux mots, là-dessus, - sans entrer pourtant dans des détails techniques trop ardus.

Un objet glisse d'autant plus facilement sur une surface que cette surface et celle par laquelle l'objet se trouve en contact avec elle sont plus polies. Mais si bien polies qu'elles soient, si la surface de l'objet est un rouleau ou une sphère et peut rouler sur l'autre au lieu d'y glisser, il faut un effort bien moindre pour en opérer le déplacement.

Le fardeau qu'on fait glisser sur une surface oppose une résistance appelée frottement de glissement. Le cylindre que l'on fait rouler sur une surface, oppose une résistance plus faible, dite frottement de roulement.

Un traîneau sur la glace ne présente qu'un frottement de glissement.

Un cerceau sur l'asphalte ne présente qu'un frottement de roulement.

Une voiture sur des roues présente les deux, car tandis que la surface extérieure de la jante roule sur la chaussée, la surface intérieure du moyeu frotte sur l'essieu.

Un objet mis en mouvement sur un rouleau présente un double frottement de roulement : celui du rouleau sur le sol et celui de l'objet sur le rouleau.

Les frottements d'un véhicule déterminent l'effort de traction qu'il faut pour le faire avancer. Tous les soins des constructeurs doivent donc tendre à les diminuer.

Les lois qui régissent le frottement n'ont pas encore été absolument élucidées. Les principaux points acquis, c'est que le frottement est d'autant moindre que le diamètre de l'essieu est moindre, que le frottement de l'essieu sur le moyeu est moindre, que la chaussée et la circonférence des roues sont plus dures et plus unies.

C'est pour cela que l'on façonne les essieux en un métal résistant, fer forgé ou acier, pour les réduire aux plus faibles dimensions, qu'on garnit les moyeux de boîtes en bronze garnies de graisse ; qu'on pourvoit l'extérieur des roues d'une bande de fer ou d'acier, et qu'on construit les routes de matériaux aussi durs qu'il est possible sans les rendre trop glissantes pour les chevaux et les piétons.

C'est pourquoi encore il y a un avantage énorme à substituer des rails tout unis à un chemin de terre, et même à un pavé, dont les saillies, séparées par des joints, font autant de petits obstacles à franchir.

Si les surfaces frottantes ne sont pas graissées elles grincent, s'échauffent, se déforment, prennent feu quelquefois. Et voyez les singuliers obstacles que rencontrent parfois les progrès les plus simples ! Les Hindous ont des chariots à essieux de bois, qui crient à faire peur et qu'ils s'abstiennent soigneusement de graisser parce que leur religion leur interdisant de manger de la chair, ils considéraient comme un crime par extension, de lubrifier leurs essieux avec de la graisse.

La grandeur des roues facilite le roulement tout comme la réduction du diamètre de l'essieu. C'est que le frottement de l'essieu est le même pour un tour d'une grande roue que pour un tour d'une petite, quoique la voiture avance davantage pendant un tour de la grande roue. Puis la grande roue épouse moins les inégalités de la route, descend moins dans les creux et, par suite, franchit plus aisément les aspérités.

Mais les grandes roues sont encombrantes, empêchent de placer les portières, allongent la voiture, l'élèvent et, comme la largeur des routes et par conséquent l'écartement des roues et la longueur de l'essieu sont limités, diminuent sa stabilité.

Il a fallu bien des recherches, bien des tâtonnements avant que la carrosserie eût acquis son expérience et ses connaissances actuelles et arrivât à construire des voitures dont tous les éléments, toutes les proportions, toutes les dispositions sont raisonnés et justifiés. Et encore ne s'est-elle point débarrassée de tous les préjugés !

Temps primitifs. - Chariot Nervien avec escorte.


CHAPITRE III

L'HOMME a été à cheval avant d'aller en voiture, ou du moins il s'est fait porter avant de se faire traîner. Les variétés de bêtes de somme et de trait sont assez nombreuses : outre le cheval, il y a l'âne, le mulet, l'hémione, l'éléphant, le chameau, le bœuf, l'yack, le bison, le chien, le renne, l'autruche, l'homme et la femme, chaque catégorie a ou a eu sa vogue, selon les latitudes, les longitudes et les époques.

Il n'y a pas si longtemps que nous avions encore des chaises à porteurs, des vinaigrettes ou des brouettes - c'étaient de petites voitures publiques - qui étaient traînées par des hommes.

On voyage toujours au Japon dans de petites voitures traînées par des hommes aussi.

En Afrique, les nègres portent les blancs en palanquin. - Nous avons encore les civières pour les malades portées par des hommes.

Nos paysans et nos terrassiers poussent la brouette.

Nos paysannes apportent leurs légumes au marché dans des paniers qu'elles portent sur la tête.

Nos maçons font monter à leurs manœuvres, par des échelles, toutes les briques et tout le mortier qu'il faut pour construire une maison, et ne songent même point à établir un treuil qui leur faciliterait infiniment cette besogne ; si bien que la maison tout entière, une fois la maçonnerie finie, a passé par les échelles, sur le dos de deux ou trois apprentis.

Les exemples ne manquent point pour montrer le rôle prépondérant que tiennent encore, dans les milieux les plus civilisés, la bête de trait et la bête de somme humaines.

Les véhicules les plus anciens et les plus fameux dont il soit fait mention, ce sont les chars des dieux. Homère décrit le char de Junon. Les roues avaient huit rayons d'airain, le siège était d'or, suspendu à des cordes d'argent, le timon était d'argent, le joug d'or et les rênes d'or.

Le passage cité ne prouve point que Junon eut un char, mais il établit que les hommes de ce temps en avaient qui n'étaient sans doute pas aussi brillants que celui de la femme de Jupiter, mais qui, à coup sûr, ne devaient pas valoir mieux et étaient du même modèle.

Ils n'avaient point d'autres ressorts que les cordes sur lesquelles était suspendu le siège.

Jupiter, Neptune, Pluton, Apollon, Mars, Aurore, Amphitrite, les Néréides, Vénus, Mercure avaient des chars. Celui d'Aphrodite était attelé de tourterelles, celui d'Hermès de bœufs.

Indra, dieu Hindou, allait sur un éléphant, à la mode de son pays. Le dieu Thor des Scandinaves voyageait dans un char attelé de boucs à ce que dit la mythologie. Ces boucs étaient des rennes, probablement, d'autant plus que leur propriétaire les mangeait quand il ne trouvait pas autre chose à se mettre sous la dent en arrivant à l'étape. Il en était quitte pour les ressusciter ensuite, mais il fallait qu'on se gardât de croquer leurs os et d'en sucer la moelle ; autrement, ils restaient boiteux. L'existence de ces animaux devait être misérable ; nos chevaux de fiacre peuvent s'estimer heureux en comparaison. Je suppose aussi que le char de Thor était un traîneau.

La charrette primitive eut sans doute, comme je l'ai dit, les roues fixées à l'essieu.

En Egypte, on découvrit de bonne heure qu'il valait mieux fixer l'essieu et laisser tourner les roues autour.

Il est question de chariots dans la Bible. Il y a sur les murs des temples et des tombeaux égyptiens des peintures et des sculptures datant de quatre mille ans, où ces chariots sont représentés. Certains mots - des termes techniques évidemment et qui, comme le fait remarquer Thrupp comportent une industrie régulière, - sont employés à la fois par Moïse et par Homère dans leurs descriptions.

Moïse à propos des roues sur lesquelles roulait la grande chaudière employée par les prêtres, et Homère en parlant du char de Junon ont recours aux mêmes expressions. Le char grec serait donc originaire d'Egypte.

Ces chars primitifs comportaient une caisse carrée ou arrondie sur le devant, ouverte par derrière, et portée sur des roues qui n'avaient pas plus de trois pieds de haut, - en Egypte surtout. Le timon, fixé sous le fond du char montait en se recourbant et le bout en était fixé à un joug en bois qui reposait sur le dos des chevaux ou était lié aux cornes des bœufs. Parfois une barre de fer traversait le bout du timon et se rattachait, par ses extrémités, au-dessous du poitrail des chevaux.

Deux personnes pouvaient se tenir debout dans ces chars, où l'on devait être fort secoué et éclaboussé abominablement. Ils étaient assez légers pour qu'un homme vigoureux en enlevât un sur ses épaules.

David prit sept cents chars au roi de Syrie et mille au roi de Zobah. Salomon en avait quatorze cents et ses marchands en fournissaient à la Syrie septentrionale et aux contrées environnantes. Un musée de New-York possède, paraît-il, la roue d'un de ces chariots trouvée avec une momie.

Ces chars servaient surtout à la chasse et à la guerre. Au siège de Troye, les rois Grecs et les chefs Troyens se battaient dans des chars. Les chars de guerre durèrent pendant fort longtemps, et le Cortège historique nous montre un char de guerre à deux roues, à caisse carrée et à deux chevaux, qui portait encore les chefs, sur les champs de bataille, à l'époque des Croisades. .

Le char grec à deux chevaux s'appelait biga. Erechtée introduisit, dit la légende, l'usage du quadrige, qui en avait quatre ; il en conduisit un pour la première fois à la fête des Panathénées.

Le char grec pénétra dans la vie civile et apparut aux processions, aux grandes fêtes, aux solennités et aux jeux. Il faisait partie du cérémonial.

Sous Charlemagne, IXe siècle. - Litière avec escorte. - Joueurs de buccine.

Hérodote raconte que la prêtresse Cydippe devait, dans une fête en l'honneur de Junon, aller au temple dans un char traîné par des bœufs. Un jour, les bœufs faisant défaut et l'heure de la fête étant prochaine, les deux fils de Cydippe se dévouèrent et traînèrent le char eux-mêmes jusqu'à destination. Tout le monde félicita la mère qui pria Junon d'accorder à ses fils le plus grand bonheur qui pût échoir à un mortel. Junon l'exauça. Après le sacrifice et le festin qui suivait, les jeunes gens s'endormirent dans le temple, et, par la grâce de Junon, ne s'éveillèrent plus.

Cette déesse avait la plaisanterie un peu lourde.

Aux Hyacinthies, - c'étaient des fêtes en l'honneur de Déméter qui se célébraient à Amyclée, - les jeunes filles de Lacédémone parcouraient la foule dans des canathres, chars particulièrement ornés pour la circonstance. Néanmoins, les Grecs n'employèrent guère les voitures dans la vie privée.

Ce furent, d'après Pline, les Phrygiens qui inventèrent le char à quatre roues.

Les Romains empruntèrent les chars aux Etrusques, lesquels furent, selon la tradition, les premiers à les couvrir.

A Rome aussi, les chars ne servirent guère d'abord, que pour les solennités et la représentation. Il n'y a là, du reste, rien de particulier et bien des choses, qui jouent maintenant un rôle tout utilitaire, n'étaient employées d'abord que par ostentation. L'homme a songé à se parer avant de s'habiller le moins du monde, et a partout recherché l'admiration de ses semblables avant sa commodité personnelle. Il y a eu des tatouages, des colliers de coquillages, des coiffures de plumes bien avant qu'il y eût des vêtements, et aujourd'hui encore, si l'on donne un manteau à un bon nègre, le bon nègre le porte triomphalement quand il fait beau, et, s'il vient à pleuvoir, l'ôte bien vite, le roule, court le mettre à l'abri et, s'il ne trouve pas d'abri, pousse le soin jusqu'à faire à ce manteau un rempart de son corps.

Les Romains possédaient, avec leurs chars de guerre, d'autres voitures à deux et à quatre roues, de formes et de destinations variées : pour rentrer les moissons, pour promener les dieux, pour les vestales qui allaient aux processions, pour les triomphes : tels pour les vainqueurs, tels pour les captifs, tels pour le butin.

Au triomphe du Consul Emile, l'an 170 avant notre ère, on comptait sept cent et cinquante chars avec les dépouilles de Persée, dernier roi de Macédoine. Un de ces chars est représenté sur la colonne Trajane. C'est un coffre à quatre roues, celles de derrière un peu plus grandes que celles de devant. Le coffre pose sur les essieux et descend vers l'avant.

Il est bon de remarquer, une fois pour toutes, qu'il faut se défier des renseignements fournis par les bas-reliefs et les peintures. Les artistes se sont contentés, de tout temps, de fournir des représentations sommaires et schématiques des accessoires qu'ils devaient introduire dans leurs œuvres ; aujourd'hui encore, malgré le naturalisme à la mode, on ne se ferait qu'une idée fort vague de nos voitures les plus connues et les plus simples s'il fallait en juger par la façon dont elles sont peintes dans nos tableaux ou représentées dans les dessins des journaux illustrés. Et pourtant l'illustration a fait des progrès !

La plus ancienne des voitures romaines est l’Arcera qui est nommée dans la loi des Douze Tables. Elle est couverte et sert aux impotents et aux malades.

Plus tard viennent :

Le Pilentum, à quatre roues, couvert, et dont les sièges sont suspendus par des courroies ;

Le Carpentum, fermé, à deux ou quatre roues, - la voiture des dames et des prêtres ; c'est en carpentum que ceux-ci se rendent au capitole avec leurs ustensiles sacrés qu'ils doivent cacher au public ; c'est en carpentum que les mariées sont conduites chez leurs époux ; l'impératrice Agrippine avait un carpentum élégant dont la couverture arquée était portée par quatre statues de femme, et que traînaient deux mules ;

Le Cisium, à deux roues, avec siège suspendu par des courroies ; au rebours du char grec, on y entrait par devant, comme dans notre cabriolet ;

Il ne faut pas oublier la litière, Lectica, portée par des mules et la Basterne, litière couverte, portée par des mules ou des chevaux.

Au temps de l'empire, on inventa la Carruca ou Carrocha, à quatre roues, la caisse fixée à une certaine élévation sur quatre montants posés à l'aplomb des essieux et reliés entre eux par des traverses horizontales. C'était la voiture de gala des dignitaires, et le nom en est resté aux carrosses du seizième siècle.

Mais les Romains avaient beau décorer ces voitures, les dorer, les argenter, les incruster, les tapisser d'étoffes précieuses, les agrémenter de sculptures, c'étaient d'assez pauvres véhicules, sans autre suspension que des courroies, et nos paysans, dans leurs carrioles, avec de la paille au fond, roulent aussi confortablement que les impératrices romaines.

Un point à noter dès maintenant, c'est la multiplicité des lois somptuaires qui depuis l'antiquité réglèrent et limitèrent l'usage des voitures. Comme elles n'étaient considérées que comme un objet de luxe et de parade, le pouvoir les interdisait.

César fit des ordonnances pour rendre les litières plus simples et en limiter l'emploi ; le pilentum était réservé à quelques grandes dames ; sous l'empire, la loi intervenait fréquemment pour modérer le luxe du carpentum des patriciens ; sous Aurélien, il fut permis aux particuliers d'enrichir leurs voitures d'ornements en argent ; ils avaient dû jusque-là, se contenter de cuivre et d'ivoire ; Antonin le Pieux avait pris grand soin de restreindre l'emploi des voitures ; Marc-Aurèle avait défendu d'entrer à cheval ou en voiture dans les villes ; Alexandre-Sévère, n'y pouvant plus rien faire, abrogea les lois somptuaires et permit à chacun d'avoir telles voitures que bon lui semblerait ; les jeunes filles ne pouvaient pas aller en pilentum ; c'était un privilège réservé aux dames et aux vestales ; elles devaient marcher voilées ou prendre des litières ; les hétaires et les femmes d'une conduite équivoque ne pouvaient pas monter en voiture ou en litière.

Nous avons bien changé cela !

Sous Charlemagne, IXe siècle. - Char princier.


CHAPITRE IV

Il devait exister, dans l'Empire Romain, une espèce de poste pour les voyageurs. Il y avait du moins des particuliers qui tenaient des voitures légères à leur disposition.

César, d'après Suétone, voyagea à raison de cent et cinquante kilomètres par jour dans un cisium de louage.

Auguste, pendant sa campagne contre les Perses, avait trouvé chez eux un service des postes bien organisé et à l'imitation duquel il améliora les postes romaines après son retour.

D'ailleurs l'empire était sillonné de routes excellentes que les peuples vaincus par Rome avaient construites ; elles étaient faites de pierres de taille posées sur un lit épais de béton.

L'empereur Commode possédait des voitures munies d'un appareil mesurant le chemin parcouru. Un chapitre de l’Architecture de Vitruve a pour titre : Par quel moyen on peut savoir en allant en voiture ou en bateau combien on a fait de chemin. C'est la description curieuse d'un compteur de route, commandé par une des roues, et accumulant dans un récipient autant de cailloux que l'on parcourait de milles. Il n'y avait qu'à les compter en arrivant.

Les Romains de la décadence avaient des chars de course à deux roues et à deux ou quatre chevaux dont la caisse ne pouvait contenir que le cocher et où l'on avait accès par derrière. La couleur de la jaquette du cocher et des bandelettes des chevaux faisait reconnaître à quelle faction appartenait le char. Car la politique se mêlait à tout. L'utilité de ces chars devait être à peu près équivalente à celle de nos chevaux de course. Victorien Sardou a mis en scène d'une manière plaisante, dans Théodora, les mœurs des sportsmen romains. Il est curieux de voir ce qu'elles ont d'analogie avec celles des nôtres.

Les images des dieux étaient portées sur des chars particuliers. Ils avaient une caisse assez haute, ornée, et des colonnes ou cariatides supportant un ciel qui imitait souvent la toiture des temples et offrait un entablement, une corniche et un fronton. On y attelait des chevaux, des mules ou des bœufs, toujours blancs, quelquefois des hommes. Mais les hommes n'y montaient jamais.

Dans le cortège du couronnement de Ptolémée-Philadelphe, roi d'Egypte, figurait un char à quatre roues, traîné par soixante hommes, sur lequel était placée une statue de quatre mètres de haut, représentant Nisa, la nourrice de Bacchus ; un mécanisme la faisait se lever, s'asseoir et verser du lait dans une coupe d'or.

Héliogabale promenait son dieu sur un char à six chevaux blancs ; les guides étaient placées dans la main de la statue, comme si elle eût conduit le char. Antoninus allait devant à reculons, les yeux fixés sur le dieu, et le sol était couvert de poudre d'or pour qu'il ne glissât pas.

Il existait chez certaines peuplades germaniques un char dédié à Herta, la terre mère, renfermant une représentation de la divinité cachée sous un voile auquel le prêtre seul pouvait toucher. Les Hébreux avaient leur arche. Les prêtres catholiques font figurer aussi le symbole de la Divinité dans les processions de leur culte, à la suite des images des saints et des saintes portées à bras d'hommes.

Les chars funèbres des anciens ne le cédaient pas en luxe aux autres. L'un des plus fameux est celui qui transporta les restes d'Alexandre de Babylone en Egypte. «Il était surmonté d'une voûte d'or de huit coudées de large et de douze de long, ornée de pierres précieuses disposées en écailles. Au-dessus de la voûte se dressait un trône d'or orné de mufles d'animaux fantastiques retenant des guirlandes... Elle était recouverte d'un filet à larges mailles, où pendaient de grandes sonnettes... » Des victoires dorées s'élançaient des quatre angles, un apéristyle ionique portait la voûte, un autre réseau d'or supportait quatre grands tableaux chargés de figures représentant des sujets de circonstance.

Certaines voitures romaines n'ont point complètement disparu : les arabas des dames du sérail ne manquent pas d'analogie avec le pilentum.

Les Scythes possédaient des charrettes à deux roues, offrant une plate-forme sur laquelle était posé un abri en forme de ruche, fait de clayonnage recouvert de peaux de bêtes. Lorsqu'ils s'arrêtaient, ils descendaient la ruche, la posaient sur le sol et demeuraient dedans.

Les chars de guerre des Perses étaient plus grands que ceux des Grecs et des Romains. On y voyait une sorte de tourelle d'où plusieurs guerriers pouvaient lancer leurs flèches. Les extrémités de l'essieu étaient armées de faux.

Alexandre revint de l'Inde en Perse sur un char à huit chevaux, avec une plate-forme carrée portant une tente.

Nos ancêtres les Gaulois avaient aussi de lourds chariots façonnés à la hache, à quatre roues, - quatre disques massifs plutôt, recouverts de peaux de bêtes et traînés par des bœufs.

Lorsque les Romains envahirent la Belgique et la Bretagne, ils y trouvèrent un char de guerre tout nouveau pour eux. Les roues en étaient plus hautes qu'à ceux qu'ils employaient, on y montait par le devant et le timon, horizontal, était assez large pour que le conducteur du char pût se tenir dessus et, au besoin, arriver par là jusque devant ses chevaux.

Ce char avait un siège et s'appelait essedum. Il était aussi muni de faux au bout de l'essieu.

Epoque des Croisades, XIe siècle. - Sonneurs de lituus. - Char de guerre.

Chez les Gaulois toutes les voitures à caisse d'osier s'appelaient benna. Le nom est resté : en Alsace elles se nomment encore bennenkarre et un panier benne, en rapport d'étymologie avec vannus et vannier. La voiture d'osier a conservé le nom de benna en Italie.

La voiture d'osier est très ancienne : elle s'appelait plecta chez les Grecs, canathra chez les Spartiates, sirpoa chez les Romains. La caisse d'osier eut toujours l'avantage de mieux résister aux secousses que la caisse en planches et d'être plus légère ; il fallait grandement tenir compte des secousses dans toutes les voitures anciennes qui n'étaient pas suspendues. Les coches de la Renaissance furent pendant longtemps construits en osier, et les malles-poste françaises, créées en 1791, étaient encore en osier aussi.

Sous les Empereurs, la variété des voitures devint grande à Rome.

Marc-Aurèle est représenté dans un char de triomphe dont les roues sont aussi hautes que les chevaux.

Un Anglais, sir W. Gell, donne, à ce que rapporte Thrupp, le dessin d'un camion romain employé pour transporter les outres de vin. Il a quatre roues et offre une disposition pour permettre aux roues de devant d'évoluer sous le véhicule. Le timon semble se rattacher par une fourche à l'essieu antérieur.

Quant aux ressorts, il n'en est guère question. Les empereurs romains étaient tout aussi secoués que Junon. Il faut noter, cependant, une sorte de voiture portée sur des tiges longues et flexibles qui reliaient les essieux, et qui pouvaient présenter, au milieu, une certaine élasticité. De nos jours, le «calesso» napolitain, la carriole norwégienne et une charrette anglaise dite Yarmouth Cart offrent une disposition du même genre. Le siège y est posé, entre l'essieu et le cheval, sur de très longs brancards qui se trouvent transformés en ressorts de bois.

Le train de ces voitures romaines à quatre roues était, sans doute, le même que l'on voit aujourd'hui aux charrettes rustiques. Von Ginzrot donne, dans son ouvrage sur les moyens de transport, le dessin d'un chariot employé par les Romains, qui est identique avec les charrettes des brasseurs de Vienne et de Munich. Si ce dessin est exact, les charrons romains du temps des Césars étaient aussi avancés que les charrons actuels de l'Allemagne du sud.

L'Hindoustan possède des variétés de charrettes particulières, et il est probable qu'elles y existent déjà depuis quelques milliers d'années, étant donnée la stabilité des habitudes orientales.

Les plus répandues ont deux roues et une plate-forme faite de deux bambous adaptés à l'essieu et se réunissant pour former le timon qui porte un joug pour deux bœufs. Les deux bambous sont reliés par une série de petits bambous transversaux.

Elles s'appellent : hackery, en anglais. Le terme est emprunté à un mot hindou et tient de près au français : haquet. Le haquet ne diffère de ce véhicule asiatique qu'en ce que les deux longerons ne s'y réunissent pas pour former un timon, mais se prolongent en brancards.

Les roues des charrettes hindoues sont de bois massif, parfois de pierre, parfois encore faites d'une planche arrondie aux deux bouts et complétée par deux morceaux de jante ; il arrive même qu'elles aient des rayons, six ou huit.

Les voitures riches sont ornées de tapis et de rideaux. Le cocher est assis sur le timon et préservé du soleil par un prolongement du dais qui les couvre.

Les Hindous ont une manière assez curieuse de comprendre les voitures à quatre roues : pour les composer ils en réunissent deux à deux roues, à la file ; la seconde porte la caisse et s'appuie par son timon sur la première qui lui donne un coup d'épaule.

On remarquera ce qu'il y a d'humain à abriter le cocher que nous laissons impitoyablement exposé, même dans nos voitures de place, au soleil le plus ardent et aux averses les plus violentes. Les charrettes hindoues révèlent d'autres préoccupations humanitaires. C'est ainsi qu'elles sont munies d'une pièce de bois courbé retenue au-dessus de chaque roue et empêchant les voyageurs de tomber par-dessus bord ou leurs vêtements de s'embarrasser dans les roues ; c'est ainsi qu'une barre de bois horizontale, fixée à l'extrémité de chaque essieu, en dehors de la roue, empêche qu'elle n'atteigne les passants dans les rues encombrées. De plus, un support spécial soutient la voiture quand les bœufs s'abattent.

Toutes les voitures hindoues ont des essieux de bois. Jusqu'à ces derniers temps, ils n'étaient pas graissés, les principes religieux du pays interdisant l'emploi de la graisse animale. On y mettait quelquefois de l'huile ou du savon, mais il a fallu des règlements spéciaux et sévères pour obtenir, dans les grandes villes seulement, un graissage général.

Thrupp résume le rôle des peuples de l'antiquité dans l'évolution des voitures.

Les Egyptiens ne changèrent rien aux leurs des siècles durant. A la fin comme dans le principe, les rois se tenaient à côté de leurs cochers ou conduisaient eux-mêmes. Les Perses et les Hindous introduisirent le faste et le luxe, placèrent les grands dans des véhicules surélevés d'où ils dominaient la multitude et enfermèrent les femmes dans des voitures à rideaux. Les Grecs n'inventèrent point de voitures nouvelles mais perfectionnèrent au plus haut point le modèle de celles qu'ils avaient adoptées. Les Romains, pendant le cours de leurs conquêtes, prirent à chaque peuple ce qu'ils trouvaient de bon et l'améliorèrent quand ils purent. C'est le génie de Rome qui se traduit dans ce passage d'une lettre adressée par Cicéron à un ami qui était en Bretagne : «J'apprends qu'il y a là-bas des chariots excellents ; rapportez-m'en un pour qu'il me serve de modèle».

Un dernier détail curieux : la voiture rustique, servant au transport du blé et des produits de l'agriculture, ne pouvait autrefois être saisie par les créanciers. Le privilège existait chez les Romains. Il fut adopté dans le droit français et confirmé par des ordonnances de Charles VIII, François I, Charles IX, Henri IV et Louis XIV.

Époque des Croisades, XIe siècle. - Civière. - Porteurs. - Mulets chargés.


CHAPITRE V

Des princes mérovingiens voyageaient dans des chariots traînés par des bœufs. C'est ainsi qu'ils se rendaient une fois par an à l'assemblée générale de la nation. Néanmoins, le moyen âge alla peu en voiture. Quantité d'industries tombèrent en désuétude après la décadence des Romains et les invasions des Barbares : la carrosserie entre autres.

Il y avait des chariots grossiers pour le transport des marchandises et des bagages. Mais tout trafic était restreint en ces temps troublés et l'on voyageait le moins possible. L'état déplorable des routes, à peine tracées, rendait la circulation des voitures à peu près impossible. Les belles voies romaines étaient loin, et les barbares qui avaient chassé Rome de la Germanie, de la France et de la Bretagne ne se souciaient guère d'en construire d'autres.

Non seulement les routes étaient mauvaises : la campagne, battue par des bandits de toute espèce, n'offrait aucune sécurité. Le voyageur, en butte à des attaques de toute sorte, se trouvait mieux à cheval pour se défendre ou pour fuir.

Guillaume, archevêque de Tyr, raconte que des brigands, ceints du glaive, assiégeaient les routes, dressaient des embûches, et n'épargnaient ni les étrangers ni les hommes consacrés à Dieu ; que les villes et les places fortes n'étaient pas même à l'abri de ces calamités ; que des sicaires en rendaient les rues et les places dangereuses pour les gens de bien.

Cela dura plusieurs siècles, qui virent se succéder Routiers, Brabançons, Cottereaux, Malandrins, Ecorcheurs et autres espèces pillantes et dévalisantes.

Le marchand devait, pour être garanti de la rapine, payer un droit d'escorte à chaque seigneur dont il traversait les terres. Heureux encore, si son escorte, au lieu de le protéger, ne l'allégeait pas de ses bagages en route.

Les seigneurs ne laissaient pas de s'associer aux détrousseurs. Richard Cœur de Lion, lorsqu'il était duc d'Aquitaine, se fit le compagnon de Mercadier, chef de routiers célèbre, et lui donna plus tard les biens d'un seigneur du Périgord.

L'Archevêque de Bordeaux fît ravager sa province par le même Mercadier. C'est le pape Innocent III qui le rapporte.

Les rois de France s'efforcèrent de porter remède à la situation.

Louis VI était toujours à cheval et la lance au poing pour châtier les nobles qui pillaient les voyageurs. Philippe-Auguste réprima les brigandages des grands seigneurs, rit paver les rues et les places de Paris qui étaient en tel état que les chevaux et les voitures, remuant la boue, en faisaient sortir des odeurs insupportables. Saint Louis remit en vigueur un capitulaire de Charlemagne qui forçait les seigneurs prenant péage à entretenir les routes et garantir la sécurité des voyageurs.

Charles VII poursuivit les Houspilleurs, les Ecorcheurs et les Retondeurs.

Louis XI rendit les routes plus sûres et organisa les postes en 1464.

Sous Louis XII, il y eut une trêve ; mais sous François Ier le pillage recommença avec les Mauvais Garçons et les Bandouliers.

Cette lutte des rois contre les bandits et les seigneurs, qui se confondaient souvent ensemble, est toute l'histoire de l'établissement de la monarchie française.

Il n'était guère question de voitures au milieu de ces agitations. Hommes et femmes, soldats et bourgeois, laïcs et prêtres, tout montait des chevaux et des mules. Les femmes et les moines se servaient d'ânesses, plus faciles à manier. Le ministre allait à cheval à la Cour ; son palefroi s'en retournait seul à l'écurie et un valet le menait reprendre son maître.

Les médecins allaient voir leurs malades à cheval ou sur une mule. Ramée, pour prouver que ceux de Paris n'allaient jamais en voiture, rapporte que la principale porte d'entrée du lieu où était leur école publique, rue de la Bûcherie, bâtie en 1472, n'était pas assez large pour qu'un carrosse pût y passer ; et dans la cour de cette maison, on voyait encore, fixés à la muraille, en 1752, les anneaux de fer où ils avaient attaché leurs mules.

Le pape même allait à cheval. Le Cérémonial du Pape ne parle ni de carrosses, ni de cochers de corps ; les historiens font mention de la mule et du cheval favori du pape. Le cheval devait être blanc, doux, docile et bien dressé. Le pape se mettait en selle au moyen d'un escabeau à trois degrés qu'on lui apportait. Les empereurs et les rois, s'il y en avait, devaient lui tenir l'étrier et mener sa monture par la bride.

Lorsque l'empereur Frédéric II entra à Padoue en 1239, les femmes des grands de la ville vinrent au devant de lui, montées sur des chevaux richement harnachés. On ne doit pourtant point conclure de là, avec un auteur, qu'il n'y eut point, alors, de voitures à Padoue ; si on lit, dans quelques centaines d'années, que l'impératrice Elisabeth d'Autriche a assisté à cheval à une revue ou à une fête au Prater, il n'en faudra pas déduire qu'il n'y eut pas de voitures à Vienne en 1885.

Il ne manque pas de faits qui attestent que l'usage des voitures ne se perdit pourtant pas complètement.

Ainsi, il devait y avoir au sixième siècle, sous les Mérovingiens, des postes appartenant à l'Etat, car on lit dans Grégoire de Tours que Childebert II, qui régna de 576 à 596, ayant été informé que le duc Rauching voulait le tuer, fit venir ce duc auprès de lui, puis expédia des ordres, et envoya des gens avec des lettres qui mettaient à leur disposition les voitures publiques, pour s'emparer des biens de Rauching partout où il s'en trouvait.

Epoque communale, XIIIe siècle - Voiture de Voyage des Dames Nobles

On voit encore qu'en 675 saint Erkenwald, évêque anglais, qui était âgé et infirme, se faisait transporter et prêchait dans une sorte de voiture ou chaise à roues.

Plus tard, il n'est plus guère question de voitures pendant une longue période. Il faut passer les Croisades et aller jusqu'au treizième siècle. Mais elles doivent être devenues fort communes alors, car une ordonnance de Philippe, roi de France, datant de 1294, interdit aux bourgeois d'avoir des chariots.

Au treizième siècle, les nobles, les abbés et les femmes voyagent en chariot. Les miniatures des manuscrits du temps nous font connaître la forme de ces chariots qui ont tous quatre roues d'égal diamètre, des brancards ou un timon, avec des attelages accouplés en flèche et des postillons.

Si la structure en est primitive, l'ornementation abonde en peintures et en dorures. La caisse est recouverte d'étoffes posées sur des cercles. A l'intérieur, des coussins sont jetés sur les banquettes transversales. On y entre par derrière et souvent l'accès en est fermé par des chaînes ou des barres d'appui.

Le coffre repose directement sur deux essieux, sans courroies de suspension ni ressorts, et, les essieux étant fixes et parallèles, il faut s'y prendre de loin pour tourner.

Viollet-Leduc remarque qu'à l'aide de beaucoup de coussins et d'étoffes épaisses, on pouvait voyager assez longtemps dans ces charrettes menées d'ailleurs assez doucement.

Ces chars étaient généralement d'une assez grande dimension pour contenir une dizaine de personnes. La couverture était fixée sur une armature de bois et percée de trous latéraux fermés par des rideaux, ou elle était posée sur des cercles et quatre montants, se rabattait sur les côtés ou se relevait à volonté.

Le treizième siècle possédait des véhicules de destinations spéciales : tels sont les chariots dans lesquels les communiers flamands transportaient leurs armes et leurs vivres ; ils offraient les dispositions voulues pour recevoir les tonneaux, les sacs, les piques, les casques et les cuirasses de rechange.

Il y avait aussi des chars d'apparat de grande dimension. Dans un exemple cité, le corps du char est couvert d'une tente ornée d'une crête d'épis, avec bannières et pennons armoyés de franges d'or et d'inscriptions. Ces chars de cérémonie n'étaient en usage, lors des entrées de rois et de reines, que pour les dames de la suite. Les rois entraient à cheval et les reines le plus souvent en litière.

C'est donc après les Croisades que les voitures commencèrent à se répandre.

En 1253, Guillaume de Ferrars, comte de Derby, mourut d'une blessure occasionnée par une chute de voiture.

Charles d'Anjou entra à Naples en 1267 et sa femme, Béatrice, était dans une caretta garnie au dedans et au dehors de velours bleu de ciel fleurdelisé d'or.

En 1273, Grégoire III entra à Milan dans une caretta aussi.

Froissart parle des Anglais revenant d'Ecosse en 136o, sous le règne d'Edouard III, dans leurs charrettes.

En 1377, quand l'empereur Charles IV vint faire visite au roi de France Charles V, celui ci, sachant que l'empereur ne pouvait monter à cheval, lui envoya, à quelque distance de Paris, un de ses chars, richement orné et attelé de quatre belles mules blanches, et deux coursiers portant une des plus élégantes et des plus riches litières de la reine.

Charles V avait donc des chars et il devait y avoir de son temps beaucoup de charrettes à Paris. Christine de Pisan raconte, en effet, que le comte de Tancarville était resté longtemps sans venir auprès du roi, alléguant que le mauvais air de Paris l'avait rendu malade. Le roi reçut mal l'excuse et dit au messager : - Assurément il y a une meilleure raison.... le comte ne voit pas très clair et l'on rencontre à Paris beaucoup de charrettes. Il est bon de s'en garder.

Il faisait allusion au proverbe : gardez-vous des charrettes !

En Angleterre, en 1380 le roi Richard II et sa mère roulaient en whirlicote - mot à mot : litière à roues. Ces whirlicotes servaient à transporter les dames et surtout leurs bagages. Stowe dit que plus tard le roi prit pour femme Anne, fille du roi de Bohême, et qu'elle introduisit, pour les dames, l'usage d'aller à cheval les deux jambes pendantes du même côté de la bête, et que par la suite les whirlicotes ne servirent plus que pour les couronnements et les spectacles de ce genre.

L'Allemagne préférait aussi le cheval aux voitures pendant le moyen âge. Il est cependant question de voitures à deux et à quatre roues dans les Niebelungen, et, à la fin du quinzième siècle, les rois et les princes allemands voyageaient quelquefois en voitures couvertes, et paraissaient en voiture dans les cérémonies. En 1474, l'empereur Frédéric III se rendit à Francfort dans une grande voiture à tentures, et, comme il n'en descendit pas à cause du temps pluvieux qu'il faisait, les habitants furent dispensés de porter au-dessus de sa tête le tapis d'usage.

Deharme dresse une liste de chevaux fameux du moyen âge. C'est le cheval Bayard qui portait les quatre fils Aymon : Renaud, Guichard, Alard et Richardet, et qui a laissé des traces de son passage dans notre pays : non loin d'Aywaille, au bord de l'Amblève, on montre dans le rocher une empreinte profonde que le brave cheval a faite d'un coup de pied en prenant son élan pour franchir la rivière avec ses maîtres poursuivis par des brigands. C'est encore Bride d'Or, le cheval de Roland, c'est Beiffror et Flori, à Oger le Danois, Blanchard et Entencenden, à Charlemagne, Babieça, au Cid.

Il ne faut pas oublier, pour compléter ces détails, la fameuse découverte du marquis de Kergazon dans la Petite Marquise. Je transcris :

KERGAZON.

Ayez la bonté de lire...

JULIETTE (lisant).

Taillefer qui moult bien cantout
Sur un cheval qui tost...

KERGAZON (l'interrompant).
Sur un cheval, n'est-ce pas ? il y a bien : sur un cheval !

JULIETTE.

Oui, Monsieur, sur un cheval.

Sur un cheval qui tost alout,
Devant li dus alout cantant,
De Karlemaine et de Rollant

KERGAZON.

Merci mon enfant.
(Se mettant à déclamer.)
Taillefer qui très bien chantait
Sur un cheval qui vite allait
Devant le duc allait chantant
De Charlemagne et de Roland ! !

Taillefer chantait et il chantait sur un cheval. C'est là justement le point que je tenais à éclaircir... (Il écrit). De même qu'il y a aujourd'hui des gendarmes à cheval et des gendarmes à pied, il y avait autrefois, - nous en donnons la preuve aux pièces justificatives, - il y avait autrefois des troubadours à pied et des troubadours à cheval.

Epoque communale, XIIIe siècle. - Équipage de chasse et porteurs.

Si je rappelle cette plaisanterie, c'est que j'ai rencontré chez des auteurs imperturbablement graves, bien des remarques et bien des déductions qui avaient tout juste la valeur que celle-là et qui m'ont montré ce qu'il y avait d'observation juste dans la raillerie de Meilhac et Halévy. Il y a tant d'historiens sévères de la même force que le marquis de Kergazon !

Époque communale, XIIIe siècle. - Chariot de transport de guerre et cavaliers.


CHAPITRE VI

A défaut de chariots confortables et rapides le moyen âge possédait un moyen de transport plus romantique, en même temps doux et facile, dont nous nous accommoderions encore bien, et avec lequel on bravait facilement les mauvaises routes.

C'est la litière dont il est si souvent question dans les romans et l'histoire du temps et particulièrement, la basterne, c'est-à-dire la litière à chevaux que nous avons déjà rencontrée chez les Romains.

Essentiellement, elle comprenait une sorte de lit, couvert ou non, juché sur un double brancard et porté par deux chevaux, un devant et un derrière.

L'ornementation variait et était souvent fort riche ; la basterne affrontait les mauvais chemins, et passait à peu près partout où pouvait passer un cheval.

Ordinairement, dit Viollet-Leduc, les conducteurs de la litière étaient à pied et menaient les chevaux par la bride. Si la route était longue, ils allaient à cheval des deux côtés des porteurs.

Les femmes et les malades voyageaient souvent en litière et il y avait des litières pour reconduire à leur hôtellerie les combattants blessés dans les tournois : c'est l'équivalent du fourgon d'ambulance qui stationne sur nos champs de course.

Les princesses figuraient ordinairement en litière dans les cérémonies publiques.

Isabeau de Bavière entra en litière à Paris le 20 juin 1389. Les seigneurs et les dames s'étaient portés à sa rencontre jusqu'à Saint-Denis où se forma le cortège. Les plus hauts barons escortaient les litières de la reine et des duchesses de Berry, de Bourgogne et d'Orléans.

Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, entra à Besançon, en 1442, en une litière couverte de drap d'or cramoisi et après elle deux haquenées blanches, couvertes de mesme la litière, raconte Olivier de la Marche, et les menoyent deux varlets à pié. Après venoyent douze dames et damoiselles à haquenées harnachées de drap d'or et après quatre chariots plains de dames !

En 1552, Charles-Quint, rendu impotent par la goutte, fuyait en litière, pendant la nuit, devant Maurice de Saxe.

Dans le compte du mariage de Blanche de Bourbon avec le Roi de Castille, on trouve le détail des pièces composant la litière de la Reine : du drap d'or et de soie tenans sur l'azur pour housser ladicte litière par dedens après la peinture ; six aunes d'escarlate vermeille pour couvrir ladicte litière et housser le fonz d'icelle ; huit aunes de toille vermeille pour mettre dessous le drap d'or ; huit aunes de toille cirée pour mettre dessous la toille teinte ; huit aunes de chanevaz à mettre entre l'escarlate et ladicte toille cirée ; trois onces de soie à brouder les fenêtres, les pendans (glands), les mantellez et le bas de ladicte litière ; sept quartiez d'un marbré brun de graine à faire rayes, cousues doubles, pour mettre dessoubs les clous ... Et ainsi de suite.

Les mémoires de tapissiers de ce temps étaient explicites !

Olivier de la Marche décrit aussi la basterne du seigneur de Ravesaint au mariage du duc Charles avec Marguerite d'York, sœur du roi d'Angleterre.

La personne de monsieur de Ravestain venait en une litière richement couverte de drap d'or cramoisy. Les panneaux de ladicte litière étaient d'argent aux armes de mondict seigneur de Ravestain et tout le bois richement peinct aux armes de mondict seigneur. Ladicte litière était portée par deux chevaux noirs moult beaux et moult fiers ; lesquels chevaux étaient en harnachés de velours bleu à gros clous d'argent, richement ; et sur iceux chevaux avait deux pages vestus de robes de velours bleu, chargés d'orfèvrerie, ayant barrettes de mesme ; et estaient housses de petits brodequins jaunes et sans esperons, et avaient chacun un fouet en la main. Dedans ladicte litière estait le chevalier, à demy assis sur de grans coussins de riches velours cramoisy : et le fond de ladicte litière était d'un tapis de Turquie ; le chevalier était vestu d'une longue robe de velours tanné, fourré d'ermines, a un grand colet renversé, et la robe fendue de costé et les manches fendues par telle façon, que quand il se drécea dans sa litière l'on voyait partie de son harnais ... Ladicte litière était adextrée de quatre chevaliers qui marchoyent à pié, grans et beaux hommes, qui furent habillés de paletots de velours bleu, et avaient chacun un gros batton en la main. Mondict seigneur de Ravestain ne se mettait pas mal, à ce qu'il parait.

Époque communale, XIIIe siècle. - Voiture de dames.

Quand il s'agissait de voyager, la litière était accompagnée, on le conçoit, d'une escorte nombreuse, car tout ce velours, cet or, ces beaux chevaux, et ces belles robes et ces beaux paletots devaient attirer la convoitise spéciale de tous les coquins qui exploitaient les routes et qui ne pouvaient manquer de flairer pareille proie de plusieurs lieues à la ronde.

Règne de la maison de Bourgogne, XVe siècle. - Voiture de voyage avec escorte.


CHAPITRE VII

Au XVe siècle, les voitures deviennent plus communes et il commence à être question des chariots «branlants», qui, les premiers, présentent un système de suspension.

D'abord, c'est Isabelle, femme de Charles VI, qui fait son entrée à Paris en 1405, au mois d'octobre, dans un chariot branlant garni de drap d'or ; ce même jour, le roi son mari s'étant mis en croupe de Savoisy, son confident, pour aller voir incognito la cérémonie, a été emporté dans la foule et failli y être étouffé.

En 1457, sous le règne de Charles VII, ce sont les ambassadeurs du roi de Hongrie et de Bohême qui offrent à la reine un chariot, fort admiré «parce qu'il était branlant et moult riche».

Ces chariots branlants avaient leur caisse posée sur deux fortes courroies longitudinales, ou soupentes attachées par les extrémités à des moutons, c'est-à-dire à des pièces de bois qui se dressaient au-dessus des essieux. Ceux-ci étaient reliés l'un à l'autre par des longerons, de façon qu'essieux et moutons formassent un système rigide, indéformable. La caisse roulait, tanguait et galopait sur ses courroies. Il y avait là, cependant un grand progrès sur les chars de l'antiquité où le siège seul était suspendu et où tous ses mouvements par rapport à la caisse, qui portait directement sur l'essieu, se traduisaient dans les genoux des voyageurs.

Un fait important date, en France, du 19 juin 1464. Ce fut ce jour-là que Louis XI organisa les services des postes, dont le personnel comprenant un Grand-Maître nommé par le roi, avec des maîtres-coureurs royaux sous ses ordres et deux cent trente courriers pour agents. Antérieurement, il existait bien des nuntii volantes, messagers volants institués par l'Université pour les relations des écoliers avec leurs familles, mais aucun service d'ensemble n'était encore en activité.

C'est pourtant au XVIe siècle qu'il faut arriver pour trouver les voitures régulièrement en usage et les noms de coche et de carrosse pour les désigner.

En Angleterre, Anne de Boleyn se rendant à son couronnement par les rues de Londres va dans une litière découverte, en drap d'or blanc, portée par deux palefrois avec des housses de damas blanc qui traînent jusqu'à terre. Du gravier a été semé sur le sol pour empêcher les chevaux de glisser. Il y a aussi des planches posées le long de la route. Des dames de la cour suivent en quatre chariots, deux couverts de drap d'or rouge, un blanc, avec six dames, et un rouge avec huit dames. Les six dames du chariot blanc sont vêtues de velours cramoisi.

Vingt ans après, Marie Tudor se rend de la Tour à Westminster, à travers la Cité, dans un char en brocart à dais et à six chevaux couverts de même étoffe. Un second char était couvert de drap d'argent tout blanc et attelé de six chevaux caparaçonnés de même.

Il y avait encore deux chars en satin rouge.

Tous ces chars étaient ouverts, à quatre roues, un peu plus élevés à l'arrière qu'à l'avant, et contenaient deux ou trois sièges. Ils ressemblaient, pour la disposition, au char-à-bancs moderne.

Un coche fut construit pour la première fois en Angleterre, en 1555, pour le comte de Rutland, par Walter Rippon, qui en fit un autre, en 1556, pour la reine Marie, et un troisième à train de devant tournant, en 1564, pour la reine Elisabeth. Mais Celle-ci préférait une voiture que William Boonen lui avait apportée de Hollande en 1560. Les voitures anglaises de ce temps avaient une caisse longue, couverte d'une sorte de dôme, avec les côtés ouverts, des rideaux que l'on pouvait abaisser ou relever et un très petit siège pour le cocher. Il n'y avait pas de porte, mais un tablier en cuir pendait en travers de l'entrée.

Quoique les auteurs disent de la diffusion des coches au XVIe siècle, il n'y avait encore, paraît-il, en 15500, que trois coches à Paris : celui de la reine, celui de Diane de Poitiers et celui du gros Jean de Laval Bois-Dauphin, qui ne pouvait pas monter à cheval.

Les uns prétendent que les voitures restèrent peu nombreuses, les autres que tout le monde en eut bientôt.

D'une part, on cite un mot d'Henri IV disant à quelqu'un : « Je ne sçaurais vous aller voir aujourd'hui parce que ma femme se sert de ma coche, » ce qui porte à croire qu'il n'y avait qu'une coche pour la famille royale ; et d'autre part on trouve dans les estampes du temps les dessins de plusieurs carrosses armoriés aux initiales royales. D'autre part encore, en 1563, lors de l'enregistrement des lettres patentes de Charles IX pour la réformation du luxe, le Parlement arrêta que le roi serait supplié de défendre les coches par la ville. Faites accorder tout cela !

Je continue, ou toujours d'après les historiens, je répète que je n'ai pas le loisir de remonter aux sources pour vérifier.

Le roi Henri III va faire, en carrosse, de singulières expéditions. En 1575, dit l'Etoille, « le roi va encore en coche avec la reine sa femme par les rues et les maisons de Paris, prendre les petits chiens damerets qui à lui et à elle viennent à plaisir : il va pareillement par tous les monastères de femmes estans au environs de Paris faire pareille queste de petits chiens, au grand regret et desplaisir des dames auxquelles ces chiens appartenaient. »

Ses promenades en coche finissent quelquefois assez mal. C'est ainsi que le 7 janvier 1576 le coche du roi et de la reine se détraque en pleine campagne et qu'ils sont obligés de revenir à pied « par un despiteux temps qu'il faisait. » Ils rentrent au Louvre après minuit.

Règne de la maison de Bourgogne, XVe siècle. - Litière de chatelaine.

Le 24 juin 1584, le roi va du Louvre à l'église Saint-Magloire, dans le faubourg Saint-Jacques, pour répandre de l'eau bénite sur le corps de son frère le duc d'Alençon qui y a été déposé. Sa femme le suit « séant seule en un carroche couvert de tanné et elle aussi vêtue de tanné ». Voiture et toilette assorties !

C'est la première fois, prétend Ramée, que l'on trouve le mot carroche, qui est le même que carrosse.

En 1585, les ligueurs font le complot d'enlever le roi qui habitait Vincennes et qui venait souvent à Paris en carrosse.

En 1588, on prêche, en France contre les carrosses. Renaud de Beaune, portant la parole au nom du clergé aux états de Blois en 1588, donne pour modèle d'une modération qu'on ne saurait trop recommander, la première présidente de Thou qui, en qualité de femme du premier magistrat du parlement, aurait pu se servir, comme les principales dames de la cour, d'une litière ou d'un carrosse, et qui pourtant n'allait jamais qu'en croupe derrière un domestique.

En 1574, Marguerite de Valois avait un coche et d'autres chariots ou carrosses dont elle parle dans ses mémoires. Ce n'est pourtant pas en coche qu'elle fit en 1577 son voyage en Flandre.

« J'allais, dit-elle, dans une litière faite à pilliers doublés de velours incarnadin d'Espagne en broderie d'or et de soye nuée à devise. Cette litière était toute vitrée et les vitres toutes faites à devise, y ayant, ou à la doublure ou aux vitres, quarante devises toutes différentes, avec les mots en espagnol et italien sur le soleil et ses effets ; laquelle était suivie de la litière de Madame de la Roche sur Yon et de celle de Madame de Tournon, ma dame d'honneur, et de dix filles à cheval avec leur gouvernante, et de six carrosses ou chariots où allait le reste des dames et femmes d'elle et de moy. »

Les voitures étaient très répandues à cette époque en Belgique et en Hollande où elles faisaient partie du luxe des commerçants riches. S'il n'y avait, en 1550, que trois coches à Paris, il y en avait certainement, en 1560 plus de cinq cents à Anvers.

En Italie, les coches étaient assez répandus pour que l'on trouvât en vigueur dans diverses villes, des lois somptuaires contre l'abus de la soie, du velours, des broderies et des dorures dans leur garniture et dans le harnachement des chevaux.

En 1564, le pape Pie IV exhortait les cardinaux à ne pas rouler en coche, selon la mode du temps, mais à laisser cela aux femmes et à aller plutôt à cheval.

Le maréchal de Bassompierre raconte que le grand duc de Toscane, qu'il était allé voir à sa maison de plaisance, non loin de Bologne, lui fit donner des carrosses pour l'aller trouver le jour d'après à Lambrogiano. C'était en 1597. Deux ans plus tard, Bassompierre ramena d'Italie en France le premier carrosse qui eût « des stores en glace. » Il parle de carrosses de relais qui existaient en 1603, entre Nancy et Sarrebourg et partit pour Ulm - il se rendait en Hongrie - dans un carrosse de louage.

En 1583, le duc Jules de Brunswick lançait un édit pour empêcher ses sujets d'aller indolemment en voiture.

Un auteur dit qu'il n'y avait que les femmes et les malades qui allaient alors en voiture en Allemagne et que cela était réputé honteux pour les hommes.

Les carrosses ne réussissaient guère à Henri IV. Le 9 juin 1606, le roi et la reine de France, ayant avec eux en voiture le duc de Vendôme, manquèrent de se noyer dans la Seine au bas de Neuilly, en revenant de Saint-Germain. Ils n'avaient pas voulu descendre de voiture, à cause de la pluie, pour entrer dans le bac et passer la Seine. Les deux derniers chevaux tombèrent à l'eau pendant la manœuvre et entraînèrent le carrosse. Le roi qui était jovial, dit « qu'ils avaient mangé trop salé à dîner et qu'on les avait voulu faire boire après. »

C'est encore dans son carrosse qu'Henri IV fut assassiné le 14 mai 1610. Il avait levé les rideaux pour que le peuple pût le voir. On tira sur lui par derrière. Il avait sept gentilshommes avec lui dans la voiture.

Henri IV ne voulait pas qu'on eût de carrosses, mais sa volonté ne servit de rien. « Le marquis de Cœuvres et le marquis de Rambouillet furent les premiers des jeunes gens qui en eurent, le dernier à cause de sa mauvaise vue, l'autre en rendait quelque autre raison. Ils se cachaient quand ils rencontraient le roi...

« Armant-le-Péteux a été le premier garçon de la ville qui en ait eu un, car les hommes mariés en eurent avant lui. Louis XIII ne trouva pas bon que Fontenay Mareuil en eût un ; on lui dit qu'il s'allait marier. » Ce privilège accordé aux hommes mariés indique que, dans l'esprit du pouvoir, les voitures n'étaient encore bonnes que pour les femmes.

On s'occupait grandement, dès lors, de perfectionner les voitures.

M. de Chevreuse, à ce que raconte Tallemant des Réaux, fit une fois faire jusqu'à quinze carrosses pour voir celui qui serait le plus doux. C'était une expérience intéressante que cela, et dont je ne puis blâmer M. de Chevreuse, puisque ces moyens la lui permettaient, et qu'elle dut profiter ensuite à tout le monde.

Les prêches contre les carrosses continuaient de plus belle. C'est encore Tallemant des Réaux qui raconte « qu'un jour le père André sceut que Madame de la Trémouille était à son sermon incognito ; il parlait de l'enfant prodigue : il se mit à lui faire un train tout semblable à celui de la duchesse : « Il avait, dit-il, six beaux chevaux gris pommelez, un beau carrosse de velours rouge avec des passements d'or, une belle housse dessus, bien des armoiries, bien des pages, bien des laquais vestus de jaune passementé de noir et de bleu. »

Les lourds chariots de la Hanse parcourent les routes au XVIe siècle ; partout les négociants affiliés à la Ligue hanséatique les protègent, et ils roulent sous escorte, des villes commerçantes des Pays-Bas jusqu'au cœur de l'Asie.

Les canaux des Pays-Bas donnent lieu, à la même époque, à une circulation active ; on va de Gand à Bruges par la barge qui fait un service régulier entre les deux villes.

Domination espagnole, XVIe siècle. - Char branlant.


CHAPITRE VIII

Voyons les modifications que subit pendant ce temps la façon des voitures. Vers le commencement du XVIe siècle, selon Viollet-Leduc, on a fait aux chariots de voyage des entrées latérales entre la roue d'avant et la roue d'arrière ; les deux banquettes se regardent, le plancher et les accotoirs sont garnis de tapis mobiles. Quelquefois les deux entrées sont munies de marchepieds fixes sur lesquels tombent ces tapis, et une sorte de capote à soufflet, pouvant s'abattre et se relever, est posée sur les dossiers et les accotoirs, au-dessus de l'une des deux banquettes ou des deux.

Ce sont là les premiers coches, et il ne parait guère qu'ils aient été suspendus avant le milieu du XVIe siècle.

Le premier système de suspension consiste en deux courroies passant longitudinalement sous la caisse comme je l'ai dit. Et c'est à cause de l'oscillation qu'elles lui donnent qu'on a appelé d'abord chars branlants ceux qui en sont munis.

Thrupp donne d'autres renseignements : il dit que les roues, à cette époque, deviennent beaucoup plus grandes ; à partir de là, et pour une période de 250 ans, elles vont avoir cinq pieds et plus. Seulement, pour tourner plus facilement, dans les villes, on va rendre le train de devant mobile autour d'une cheville ouvrière, et, pour que les roues antérieures puissent passer sous le véhicule pendant l'évolution, on va les faire plus petites que les autres ; et il en résultera un défaut qui persiste dans les voitures de nos jours !

Dans les coches, l'impériale fait partie de la charpente de la caisse, - ce qui les distingue des chars où il n'y a pas d'impériale, mais un dais ou une bâche soutenue par des cercles ou des montants en bois, que l'on peut enlever à volonté.

Les Italiens disaient toujours « coche hongrois » et désignaient ainsi un véhicule porté par des soupentes en cuir, comme celui que Ladislas de Hongrie envoya à Charles VII. Le coche arrive d'ailleurs de Hongrie, s'il faut, en croire les étymologistes. Il a emprunté son nom à la ville de Kotze, qui le produisit la première, tout comme les berlines et les landaus nous sont venus de Landau et de Berlin.

Le coche dériverait, pour la forme, d'un chariot - dit allemand - que l'on trouve encore aujourd'hui en Allemagne, en Russie, en France et chez nous. La partie inférieure en est semblable à une de ces charrettes sur lesquelles on transporte le bois de charpente et qui peuvent être allongées ou raccourcies à volonté. Il y a quatre roues et les deux essieux sont logés dans des pièces de bois, traversées par une poutre longitudinale qui les maintient. Il y a un timon et deux chevaux. Mais quand la charge est légère, on n'attèle qu'un cheval d'un côté du timon.

Le corps est formé de deux perches longitudinales, posées sur les essieux, et dont l'intervalle est fermé par des planches. Quatre montants inclinés vers le dehors se dressent sur une de ces perches, au droit des essieux. Des planches appuyées à ces montants forment les côtés. Le corps est plus étroit au fond qu'au niveau des bords, et l'on retrouvera cette forme dans tous les coches et les carrosses d'autrefois.

Ces chariots allemands sont à plusieurs fins. Lorsqu'il s'agit de transporter du foin, par exemple, on les allonge de quelques pieds et on en forme les côtés de longues ridelles. Quand c'est un tonneau, on supprime les côtés tout à fait.

Avec des planches jetées en travers des bords ou des sièges suspendus, ils peuvent recevoir des voyageurs. Mais de bonne heure ils ont suggéré l'idée des chars branlants : un manuscrit saxon du XIe siècle, racontant l'histoire de Joseph en Egypte, contient un dessin représentant Joseph dans un hamac suspendu par des crochets aux montants d'un de ces chariots.

Les premiers coches, avec leur caisse suspendue par des soupentes aux moutons plantés au-dessus des essieux rappellent évidemment le train et les montants d'un chariot allemand avec le hamac de Joseph.

Une modification à noter. Les coureurs, qui jadis précédaient les chars, se transforment en laquais et montent derrière les coches. Ce détail est dû à un fait de la plus haute importance : l'amélioration de la voirie et l'éclairage des rues le soir, qui permettent aux voitures de circuler sans être précédées d'un avant-garde pour reconnaître le terrain.

L'état des rues a fait obstacle pendant bien longtemps à l'usage des voitures de luxe dans les villes. Pour n'en prendre qu'un exemple, Philippe-Auguste avait commencé en 1184 de paver les principales rues de Lutèce. En 1285, lorsqu'il fut proposé de continuer le pavage hors de la porte Saint-Martin, « les citoyens s'excusèrent auprès de l'administration supérieure de ne pouvoir exécuter ce projet, parce que les fonds qui étaient mis à leur disposition étaient insuffisants. »

Vers 1641, la plupart des quartiers et des rues de Paris étaient pavés et bien entretenus, et depuis cette époque les carrosses y devinrent très communs.

A côté de la question du pavage se présentait celle de l'éclairage. Les rues au moyen âge étaient étroites et tortueuses, et le soir, on n'y voyait goutte.

« On avait eu beau, dit Ramée, ordonner dès le 11 septembre 1408 de mettre des lanternes dans les rues de Paris, Pierre des Essarts, prévôt de Paris, eût beau recommander d'allumer ces lanternes, on eût beau réitérer cet ordre le 5 août 1413, on eût beau remettre l'ordonnance dans la mémoire des citoyens de Paris, et leur enjoindre de faire brûler des lanternes, après neuf heures du soir, aux croisées de toutes les maisons donnant sur la rue, il n'y eut aucun remède à l'apathie des habitants....

Domination espagnole, XVIe siècle. - Tambours et fifres de la Hanse.

« Le 29 octobre 1558, des falots, qui devaient constamment brûler depuis six heures du soir jusqu'à quatre heures du matin, furent établis à l'angle des rues formant carrefours, et quand la rue était trop longue pour en être éclairée, on plaçait les falots dans trois endroits différents de la rue. Le falot était un large vaisseau contenant du goudron, de la résine ou d'autres matières combustibles.

« Mais par arrêt du Parlement du 14 novembre, les falots furent remplacés par des lanternes ardentes et allumantes ; cet arrêt ne fut exécuté qu'imparfaitement...

« Le 22 octobre 1661, le lieutenant civil est obligé de prendre un arrêt pour forcer les commissaires aux lanternes de mieux remplir leur charge. On devait les allumer à cinq heures du soir et commencer de la veille de la Toussaint jusqu'à la veille du Carême prenant... »

Enfin un Italien, l'abbé Laudati, fit établir à Paris et dans d'autres villes des postes où l'on pouvait louer des lanternes et des flambeaux ou trouver des gens qui vous escortaient avec de la lumière par les rues. Ce fut seulement en 1667 que Collart établit les lanternes publiques que les réverbères remplacèrent plus tard.

Les carrosses purent alors rouler le soir avec moins de danger d'accrocher les bornes et les angles des rues, fort irrégulières comme on sait, ou d'écraser les piétons.

Le nettoyage des rues est encore un progrès tout moderne. Nous ne nous doutons guère, quand nous voyons dans les opéras les seigneurs d'autrefois en maillot de soie et en petits souliers, de la saleté dans laquelle ce beau monde pataugeait en réalité lorsqu'il faisait quelque course à pied.

C'est seulement sous Henri IV qu'un capitaine La Fleur imagina de faire enlever les boues des rues. Chaque maison payait pour cela une petite taxe. En 1621, Salomon de Caux, ingénieur du roi, obtint la concession du nettoyage des rues de Paris, moyennant la somme de 60.000 livres tournoi et 20.000 livres par an de récompense. Je suppose que cette récompense était une gratification à laquelle il avait droit quand le travail avait été bien exécuté.

Le nettoyage des rues était regardé au moyen âge comme un travail déshonorant. Dans quelques endroits de l'Allemagne, à Hambourg, par exemple, on l'imposait aux juifs, dans d'autres aux aides du bourreau. Ce qui compliquait la saleté, c'était la liberté que tout le monde prenait de jeter les eaux ménagères et les immondices par les fenêtres.

A Paris, l'autorité n'y remédia qu'en 1372 et dut insister bien souvent pour se faire obéir. Encore n'y a-t-il pas plus de cinquante ans que l'on peut parcourir les rues de la grande ville, du soir au matin, sans courir le danger de recevoir quelque saleté sur la tête.

A Londres, plusieurs des rues qui sont aujourd'hui au centre de la ville, furent pavées pour la première fois par ordonnance royale de 1417. D'autres le furent sous Henri VIII.

A Augsbourg, le pavage des rues eut pour point de départ l'initiative privée. Un marchand, Hans Gwerlich, fit établir vis-à-vis de sa maison un sentier pavé qui traversait le marché aux bœufs situé en face. La ville fit successivement paver les rues par la suite.

Du XVIe au XVIIe siècle, les voitures changent considérablement. Les premiers coches avaient le fond droit, - et souvent posaient directement sur les essieux, comme les chariots de trois siècles plus tôt. Ils n'étaient fermés que jusqu'aux accotoirs ; des montants soutenaient l'impériale ; les jours étaient garnis de rideaux de drap ou de cuir ; on entrait de chaque côté par une échancrure à barrière mobile dont un mantelet de cuir complétait la fermeture. Derrière ces barrières il y avait des sièges pour les pages et quelquefois la voiture offrait de chaque côté une saillie, une sorte de niche également destinée aux pages et aux suivantes.

Au XVIIe siècle, nous trouvons les carrosses à fonds courbes et à portières en bois montant mi-hauteur ; des panneaux en bois ont remplacé les mantelets de cuir.

Enfin, la portière occupe parfois toute la hauteur du carrosse, et est munie de glaces glissantes.

Domination espagnole, XVIe siècle. - Barge faisant le service sur le canal de Bruges à Gand.


CHAPITRE IX

LE luxe des voitures de ces temps reste considérable. En 1611, la femme de l'empereur Mathias entre à Vienne dans un carrosse recouvert de cuir odorant. La voiture de noces de la première femme de l'empereur Léopold, qui était une princesse espagnole, a coûté 38000 florins. Cependant, un historien observe que les carrosses de cet empereur n'étaient point magnifiques ; ils étaient entièrement recouverts de cuir de Russie et armés de clous à têtes noires. Les harnais étaient noirs et sans or, les vitres étaient de cristal...

Les interdictions et les arrêtés contre les carrosses continuent à pleuvoir. Il y a dans les archives de la Marche électorale un édit qui interdit à la noblesse de se servir de carrosses sous peine de se rendre coupable du crime de félonie.

En 1608, le duc Philippe II de Poméranie Stettin rappelle à ses sujets qu'ils ne doivent pas se servir de voitures et les engage à se souvenir plutôt des mœurs chevaleresques de leurs ancêtres.

En 1523, loi en Hongrie pour interdire les carrosses.

En 1663, les carrosses sont défendus à Amsterdam « parce qu'ils détruisent le pavé. » Ce qui n'empêche pas qu'en 1775 il y ait vingt-cinq mille chevaux de carrosse dans les Provinces-Unies.

Les renseignements, peu nombreux du reste, que je trouve dans les auteurs sur l'histoire du développement des voitures dans nos régions indiquent qu'elles ont toujours été nombreuses, - ce qui s'explique par l'aisance où vivaient nos bourgeois et la prospérité générale du pays, - et que leur emploi n'y a guère rencontré d'obstacles, - ce qui s'accorde avec nos habitudes constantes de liberté individuelle et notre caractère de tolérance.

Je trouve dans Thrupp la description de nombreuses voitures de gala du XVIe et du XVIIe siècle, qui sont restées célèbres. J'en résume quelques traits.

Voici d'abord la voiture de mariage d'Alexandre Farnèse avec une princesse portugaise, qui a eu lieu à Bruxelles en 1565.

Elle est ornée de quatre statues aux angles, de têtes de séraphins aux coins de l'impériale, de guirlandes de fruits en relief sur la caisse ; les roues ont des rayons sculptés en forme de balustres. Le siège du cocher est supporté par deux lions, toute la machine est peinte en blanc et or. Les chevaux, de couleur crème, ont des panaches blancs et rouges, et des caparaçons de brocart d'or. Les coussins de tissu d'or brodé sont parfumés d'ambre et de musc, « qui emplissent de vie, de joie et d'un plaisir suprême l'âme de tous ceux qui entrent dans la voiture. »

En Italie, Edouard Farnèse va se marier avec Marguerite de Toscane, en 1529, dans un coche à huit places dont le bois est couvert de plaques d'argent en bas-relief. L'impériale est portée par huit colonnes d'argent, et surmontée de huit urnes d'argent, de têtes de licornes et de lys en haut-relief. Elle a pour charpente vingt tiges rayonnant autour du centre, couronné d'une grande rose à pétales d'argent et d'où sortent des Amours soutenant les armes des Farnèse et des princes de Toscane. Les rideaux sont de velours cramoisi, brodé de lys d'argent à fleurs d'or. Le siège du cocher est porté par les statues de la Justice et de la Piété. Les roues et le timon sont plaqués d'argent poli.

Vingt-cinq excellents orfèvres ont travaillé à tout cela pendant deux ans et y ont employé vingt-cinq mille onces d'argent.

D'autres descriptions nous montrent des coches en forme de coquilles, ornés de tritons, de nymphes, de cupidons, de lions, de divinités dans le goût de ce temps-là.

Un autre coche conservé à Madrid, que l'on fait remonter au temps de Jeanne la Folle, et qui a, pour particularité, des roues à rais en spirales, est dépourvu de sièges pour un cocher et des valets. Il était d'usage en Espagne de se faire mener par des postillons depuis qu'un cocher du duc d'Olivarez avait surpris et livré un secret d'État.

Plus récemment, on cite la voiture dans laquelle le Maréchal Soult alla, en 1838, représenter la France au couronnement de la reine Victoria d'Angleterre. Elle était construite par Dalringen de Paris, peinte en bleu, bleu adélaïde comme on disait alors, à corniche d'argent et à quatre glaces. On voit qu'elle se rapprochait déjà grandement de la simplicité moderne, et c'était plutôt la beauté de ses proportions et le fini de son exécution qui la faisaient remarquer.

La princesse Stéphanie de Belgique, qui épousa, le 11 mai 1881, l'archiduc Rodolphe d'Autriche, fit son entrée à Vienne dans le carrosse de gala de la famille impériale d'Autriche, qui date de 1696 et qui passe pour l'un des plus beaux spécimens du genre.

La caisse en est très profonde, plus large à l'impériale qu'aux accotoirs, suspendue par huit courroies à des ressorts verticaux, et toute dorée, sauf les panneaux où sont peintes des nymphes. Les glaces, fort grandes, lui donnent une apparence de légèreté, et elle est surmontée d'une large couronne impériale.

La famille impériale d'Autriche possède un autre carrosse, tout semblable, mais plus simple et noir, avec les armes impériales en bronze appliquées sur les panneaux. Il sert aux funérailles.

Je ne dois pas oublier notre célèbre voiture de l'Amman, assez connue de tous les Bruxellois.

On s'est bien souvent extasié sur ces lourdes machines que constituaient les anciens carrosses de gala. Ramée, entre autres, si sévère, habituellement, pour le luxe, le faste et la mollesse des anciens, ne laisse pas de les admirer.

Domination espagnole, XVIe siècle. - Litière.

« La voiture du XVIe siècle, dit-il, était un vrai petit et gracieux monument d'architecture roulant sur quatre roues. Quelle différence avec nos plus riches voitures modernes dont la conception tombe tout à fait dans le métier !....»

Pour ma part, je n'hésite pas à proclamer la supériorité des voitures modernes, et je trouve qu'elles l'emportent à tous les points de vue sur ces carrosses fameux. D'abord, les monuments d'architecture ne sont point faits pour rouler, et les voitures ne sont pas des monuments d'architecture. Il doit exister entre les deux une distinction absolue, que l'on ne peut négliger sans manquer de goût et de bon sens.

Nos voitures modernes des bons faiseurs offrent, dans leur simplicité, une élégance de galbe que l'on cherche en vain dans les vieux carrosses : elles se distinguent par un caractère spécial, inhérent à la condition principale à laquelle elles doivent satisfaire : la légèreté. Si l'on regrette les jolies peintures à sujet des anciennes chaises et des anciennes voitures, je demanderai s'il était raisonnable d'exposer des objets d'art d'une pareille valeur à la boue, à la pluie, aux froissements, à des accidents de toute sorte.

Nos voitures offrent plus de sécurité que celles d'autrefois ; on y entre et on en sort facilement ; elles sont aisément maniables et d'une grande stabilité ; elles sont composées de matériaux choisis et mis en œuvre de façon à leur donner toute la solidité et la légèreté possibles ; elles permettent d'aller plus vite avec un cheval qu'on n'allait autrefois avec quatre ; elles sont douces, confortables, et l’on n'entend plus parler que rarement de tous ces accidents de voitures qui étaient si communs au bon vieux temps. Elles ont cette beauté discrète et fine qui caractérise notre époque, et qui est l'expression du goût moderne.

On observe ailleurs une transformation toute semblable. Les navires d'autrefois étaient aussi chargés d'ornements, de sculptures et de figures. Aujourd'hui, leur forme s'est simplifiée et adaptée aux conditions auxquelles elle doit satisfaire, au grand avantage de l'élégance et de la sécurité.

Domination espagnole, XVIe siècle. - Bannières de la Hanse et des villes Hanséatiques.


CHAPITRE X

Nous allons voir tomber peu à peu dans le domaine public les voitures dont l'emploi n'a guère été jusqu'à présent que le privilège des grands et des puissants du monde.

Aussi n'est-ce plus assez déjà, pour les ambitieux, de posséder un carrosse. Il faut encore qu'ils fassent peindre des armoiries sur les portières. Tallemant des Réaux raconte : « Macé Bertrand, sieur de la Bazinière, trésorier de l'Epargne, fils d'un paysan d'Anjou, arrivé à Paris, laquais chez le président Gayon, fit mettre des couronnes à son carrosse du temps qu'elles étaient moins communes qu'elles ne le sont : ce fut en se mariant. Depuis, quelqu'un en parlant de la multitude des manteaux de duc qu'on voyait, dit, devant Mademoiselle : - Je ne désespère pas que Bazinière n'en mette un. - Non, dit-elle, il ne mettra qu'une mondille ». (C'était le manteau court des laquais).

Il y avait, dès 1647, des carrosses ou coches de louage qui partaient de Paris pour quarante-trois villes de France. Le sieur Dechuyes publia alors un curieux petit volume : Le Guide de Paris, où il donnait leur adresse et l'époque de leur départ. Il y est dit, par exemple, que le coche d'Auvergne loge à la rue de la Caussonnerie, aux Quatre-Fils-Aymond, « et part quand il peut » ; ce qui voulait dire, sans doute, quand il est complet.

Ces coches publics de voyage contenaient huit personnes et étaient attelés de six chevaux conduits par deux postillons.

Il existait des voitures de louage à Paris sous la minorité de Louis XIV. Nicolas Sauvage s'était établi rue Saint-Martin dans une maison à l'enseigne de Saint-Fiacre. Il louait des carrosses à l'heure ou à la journée à ceux qui en voulaient. Les voitures prirent de son enseigne, le nom de fiacres - qui leur est resté.

Sauvage n'avait point pris de privilège. D'autres loueurs suivirent son exemple. On ne sait pas si leurs fiacres stationnaient dans les places ou s'il fallait les chercher à leur remise.

Plus tard des entrepreneurs obtinrent le privilège d'exploiter cette nouveauté moyennant paiement d'une taxe. En 1650, Charles de Villerme versait au trésor 15000 livres pour avoir la permission exclusive de tenir des voitures de louage à Paris. Certains entrepreneurs offraient des carrosses aux amateurs dans des lieux spéciaux et des rues déterminées, pour partir quand et aller où ils voulaient. D'autres en tenaient chez eux, et ne les louaient qu'à la journée, à la semaine et au mois. On les appelait carrosses de remise.

En mai 1657, M. de Givry avait obtenu des lettres patentes lui accordant « la faculté de faire établir dans les carrefours, lieux publics et commodes de la ville et des faubourgs de Paris tel nombre de carrosses, calèches et chariots attelés de deux chevaux chacun qu'il jugerait à propos, pour y être exposés depuis les sept heures du matin jusqu'à sept heures du soir, et être loués à ceux qui en auraient besoin, soit par heure, demi-heure, journée ou autrement, à la volonté de ceux qui voudraient s'en servir pour être menés d'un lieu à un autre, où leurs affaires les appelleraient, tant dans la ville et faubourgs de Paris qu'à quatre ou cinq lieues aux environs ».

Vers 1662, les voitures sont numérotées afin de pouvoir être reconnues. Défense est faite aux entrepreneurs de prendre pour cochers des vagabonds et des ivrognes.

Voltaire parle des carrosses publics avec admiration : « Ce fut en ce temps-là, dit-il, qu'on inventa la commodité magnifique de ces carrosses ornés de glaces et suspendus par des ressorts : de sorte qu'un citoyen de Paris se promenait dans cette grande ville avec plus de luxe que les citoyens romains n'allaient autrefois au Capitole ».

C'est de 1649 que date le mot célèbre : « Qu'est-ce que Paris ? Le paradis des femmes, le purgatoire des hommes, et l'enfer des chevaux ! »

En 1773, le lieutenant de police voulut que chaque loueur de voitures inscrivît sur des registres spéciaux les noms des personnes qui viendraient lui louer ses voitures ou ses chevaux.

Une ordonnance de 1774 exige que les voitures soient bonnes, les chevaux vigoureux, les cochers polis et tout à fait aux ordres du public. Le prix de la course y est déterminé pour la première fois et fixé à vingt-cinq sous.

Les voitures publiques se développaient également en Angleterre. Là aussi, au XVIe siècle, les routes s'étaient améliorées. On les entretenait grâce à un système de barrières et de péages. En France, leur entretien faisait partie des corvées imposées aux paysans.

En 1617, les voyageurs anglais pouvaient louer des chevaux de poste qu'ils trouvaient à des stations distantes de dix milles l'une de l'autre.

Des rouliers les transportaient aussi dans de longs chariots couverts, mais qui allaient fort lentement ; il n'y avait que les femmes et les hommes de basse condition qui en usassent. Ces longs chariots furent cependant seuls accessibles aux pauvres pendant longtemps.

La voiture de voyage britannique, appelée Stage-coach, ne fait son apparition qu'en 1640. L'intérieur contient six ou huit voyageurs garantis par des rideaux de cuir. Les vitres coûtent encore trop cher. Le cocher est assis entre les deux moutons de l'avant. Derrière les grandes roues est établi le coffre aux bagages, dans lequel prennent encore place des voyageurs d'extérieur, enfoncés jusqu'aux genoux dans de la paille.

Domination espagnole, XVIe siècle. - Char de la musique des marchands.

En 1649, Chamberlayn, dans un ouvrage intitulé : L'Etat présent de la Grande Bretagne, écrit : « Il y a un si admirable moyen pour les hommes et les femmes de se rendre de Londres aux principales villes du pays que le monde n'en a pas encore vu de pareil ; c'est par les stage-coaches dans lesquels chacun peut être transporté partout, sans souci du mauvais temps et des mauvais chemins.... et cela au bas prix d'environ un schelling par cinq milles, et avec autant de diligence en une heure que la poste étrangère en peut faire en un jour. »

En 1662, cependant, il n'existe que six de ces admirables stage-coaches, et un autre écrivain n'hésite pas à les condamner. « Car, dit-il, ils font venir à Londres les gentilshommes campagnards pour des riens.... la facilité du voyage amène aussi, sans nécessité urgente, leurs femmes qui resteraient chez elles si elles devraient venir à cheval ; et quand elles arrivent à la ville, il faut qu'elles soient mises à la mode, qu'elles aient de belles robes, qu'elles aillent aux théâtres et aux régals, et elles prennent ainsi une telle habitude de paresse et un tel goût de plaisir qu'elles ne sont plus jamais contentes chez elles. »

Un autre encore demande s'il est bon pour la santé « d'être bloqué dans les mauvais chemins et forcé de patauger dans la boue jusqu'aux genoux ; et ensuite de rester exposé au froid jusqu'à ce qu'on soit allé chercher des attelages de chevaux frais pour tirer le coche de son mauvais pas ; s'il est bon pour la santé de voyager dans des voitures vermoulues, dont le train ou l'essieu se rompt en route, et de mettre un demi-jour à faire un relai. »

Ce qui donne une assez fâcheuse idée des routes et des voitures de ce temps.

Les premiers hackney-coaches, - ce sont les voitures de louage dans les villes, - apparaissent en Angleterre en 1605. Dans le principe, ils ne stationnent pas. Il faut aller les chercher chez le loueur. En 1635, le nombre en est limité à cinquante par ordonnance du gouvernement, et les propriétaires ne peuvent tenir que douze chevaux pour chacun. Mais ils se multiplient malgré la police et le roi, et en 1650, on en compte trois cents.

Ce sont, pour la plupart, d'anciennes voitures de la noblesse. Ce n'est qu'en 1790 qu'on fait des voitures exprès pour servir au public. Elles sont plus petites que les autres.

Le tarif n'était probablement pas élevé. On pouvait aller de la cité à Saint-Giles pour un ou deux schellings.

En 1694, le nombre des voitures de place se trouvait de nouveau limité à sept cents et en 1715 à huit cents. Limiter, interdire, défendre, restreindre et imposer, voilà en quoi consiste le rôle des gouvernements et des autorités, depuis les temps les plus reculés, dans l'invention et le perfectionnement des moyens de transport.

C'est Pascal qui inventa les omnibus. Ils s'appelèrent alors, les carrosses à cinq sols. Mais ce ne fut pas lui qui tira parti de l'invention. Elle fut exploitée par un duc et deux marquis, Arthur Gouffier, duc de Roanès, Jean de Bouschet, marquis de Sourches, et Pierre du Perrin, marquis de Crenan, qui obtinrent le privilège d'établir des voitures suivant, à heures fixes, des itinéraires déterminés, et dans lesquelles chaque voyageur ne paierait qu'un prix modique.

Elles commencèrent à circuler le 18 mars 1662 et Jean Loret, dans sa Muse historique, salua leur apparition par des vers que transcrivent les auteurs :

L'établissement des carrosses
Tirez par des chevaux non rosses
(Mais qui pourront à l'avenir
Par leur travail le devenir)
A commencer d'aujourd'hui même,
Commodité, sans doute, extrême,
Et que les bourgeois de Paris
Considérant le peu de prix
Qu'on donne pour chaque voyage,
Prétendent bien mettre en usage,
Ceux qui voudront plus amplement
Du susdit établissement
Scavoir au vrai les ordonnances,
Circonstances et dépendances,
Les peuvent lire tous les jours
Dans les placards des carrefours.

Le dix-huit de mars, notre veine
D'écryre ceci prît la peine.

Domination espagnole, XVIe siècle. - Chariots de transports de la Hanse.

La première ligne ou route établie le 18 mars, allait de la porte Saint-Antoine au Luxembourg ; la seconde route, ouverte le 11 avril, de la rue Saint-Antoine à la rue Saint-Honoré ; la troisième, qui est du 22 mai, de la rue Montmartre au Luxembourg ; la quatrième, du 24 juin, faisait le tour de Paris, dans les deux sens.

Les carrosses étaient à huit places, aux armes et écussons de la ville, les cochers et laquais en casaques bleues, - galonnées de différentes nuances suivant les routes qu'ils suivaient, - la caisse suspendue sur des soupentes. La place coûtait cinq sous.

Lorsque l'on consultait « les placards des carrefours, » comme dit Jean Loret, on y trouvait, entre autres dispositions, « qu'il était fait défense à tous soldats, pages, laquais et tous autres-gens de « livrée, manœuvre et gens de bras, de monter dans les carrosses à « cinq sols, et ce pour la plus grande commodité et liberté des bourgeois et des personnes de mérite.»

Les gens de livrée, manœuvres et gens de bras prirent la chose de travers. Le jour où les carrosses à cinq sols de M. le duc de Roanès, de M. le marquis de Sourches et de M. le marquis de Crenan commencèrent à rouler, et quelques trois autres de suite, « non seulement ils se mirent à suivre les carrosses à grandes huées et à grands coups de pierre, mais aussitôt des commissaires postés en divers endroits, s'étant saisis de quelques-uns firent cesser le désordre. »

Un cocher, malgré sa livrée bleue aux armes du roi, avait été blessé à la tête, le lendemain de l'ouverture de sa route, rue des Francs-Bourgeois, par une pierre que lui avait jetée un laquais, et le lieutenant civil dut promulguer, le 15 avril, un arrêté faisant défense « à tous laquais, vagabonds et gens sans aveu de commettre aucune insolence ni excès contre les cochers et les laquais des carrosses à cinq sols sous peine du fouet et de plus grande punition au besoin, et à toutes sortes de personnes de quelque qualité et condition qu'elles fussent, de leur apporter aucun trouble ni empêchement, ni de faire aucune violence aux cochers, soit pour les faire avancer sans avoir préalablement payé ou de les vouloir contraindre de se détourner de leur route sous quelque autre prétexte ou occasion que ce pût être à peine de cinq cents livres d'amende.»

Cependant, «chacun après deux ans durant», ajoute Sauvai qui raconte la chose, « trouva ces carrosses si commodes que des auditeurs et maîtres des comptes, des conseillers du Châtelet et de la Cour ne faisaient aucune difficulté de s'en servir pour venir au Châtelet et au Palais, ce qui fit augmenter le prix d'un sol ; jusque-là que le duc d'Enghien s'en est servi par occasion. Mais que dis-je ? le roi, passant l'été à Saint-Germain où il consentit que tels carrosses vinssent, lui-même par plaisir monta dans un, et du château où il logeait vint de nouveau trouver la reine-mère. Nonobstant cette grande vogue l'usage de ces carrosses, trois ou quatre ans après leur établissement, fut si méprisé qu'on ne s'en servait presque plus, et ce mauvais succès fut attribué à la mort prématurée de Pascal, célèbre mathématicien, mais plus célèbre encore par ses Lettres au provincial ; car, à ce qu'on dit, il en était l'inventeur aussi bien que le conducteur et de plus l’on veut qu'il en eût fait l'horoscope et mise au jour sous certaine constellation, dont il aurait bien su détourner les mauvaises influences. »

Et voilà pourquoi les carrosses à six sols disparurent, pendant un siècle et demi, jusqu'à ce que l'on eût trouvé le moyen, sans doute, de conjurer les effets de cette constellation nuisible.

Les carrosses ne manquaient pas non plus dans les Pays-Bas où le luxe était grand à cette époque.

Règne des archiducs Albert et Isabelle, XVIIe siècle. - Voiture Rubens et escorte.


CHAPITRE XI

On trouve à Paris au XVIIe siècle, des adresses de carrossiers et de loueurs qui tiennent de beaux et magnifiques carrosses de louage pour les princes, ambassadeurs et grands seigneurs étrangers.

Les rues et les portes des hôtels s'élargissent de plus en plus pour laisser passer les équipages.

J'ai signalé les carrosses à portières ouvrantes et solides, occupant toute la hauteur de la caisse. Sous Louis XIV on les appelle carrosses modernes.

De grands progrès sont réalisés à cette époque, Des formes nouvelles apparaissent.

Telle est la berline. Elle a deux brancards à son train, au lieu d'un, et entre ces brancards sont tendues, du train de devant à l'essieu d'arrière, deux fortes soupentes qui portent la caisse à quatre places ; il y a des berlines à deux places, dites vis-à-vis.

Les chaises sont les voitures à deux roues. La boîte descend quelquefois plus bas que les brancards ; alors on y entre par derrière. La fliguette est une voiture de plaisance à deux roues, découverte et légère. Je ne décris pas en détail toutes les variétés des voitures qui vont être dorénavant imaginées.

Les litières se sont depuis longtemps transformées en chaises à porteurs. En 1617, Louis XIII a accordé à Pierre Petit, Jean Regnault d'Ezanville et Jean Douet, la permission d'établir des chaises à bras à porteurs à la disposition du public, avec privilège pendant dix ans.

Les brouettes, roulettes et vinaigrettes sont des boîtes portées sur deux roues, munies de ressorts et traînées par un homme ou deux. La brouette a été permise en 1669, mais elle ne s'est pas maintenue longtemps, et n'a jamais été « bien portée ». Elle est restée la voiture du peuple. Les gens aisés ont toujours préféré la chaise à porteurs.

La diligence, le berlingot et le carrosse-coupé sont des carrosses qui n'ont qu'un siège à l'arrière, comme notre coupé moderne, avec des glaces sur le devant.

Tous ces changements ne vont point sans grands progrès dans la fabrication. L'une des améliorations les plus importantes à noter c'est l'invention des ressorts.

« Les ressorts, dit un dictionnaire, ont pour les voitures un avantage immense. Non seulement ils épargnent les cahots aux voyageurs, mais ils facilitent le tirage. Les chocs provenant des irrégularités de la route se trouvent amortis. Les forces vives développées dans un sens étant restituées par le jeu des ressorts en sens contraire, le cheval n'a a supporter qu'un effort moindre à peu près constant au lieu d'efforts sans cesse variables ».

C'est pour la première fois en 1670, aux brouettes inventées par Dupin, que l'on trouve des ressorts d'acier. Dupin y avait appliqué sous le devant deux ressorts coudés qu'il rattachait à l'essieu. Celui-ci montait et descendait sous le siège, dans une gaine.

Thomas soumet en 1703 à l'Académie un petit ressort en spirale qui doit être posé à l'intérieur des courroies doubles supportant les caisses.

On intercale d'abord les ressorts d'acier entre le fond de la caisse et l'extrémité des courroies de suspension. Le gros bout du ressort est alors appliqué contre la caisse, le bout mince attaché à la courroie.

Les caisses suspendues par des courroies à des moutons suggérèrent l'idée des ressorts courbes, en forme de C, fixés au train par le bas et supportant une courroie de suspension par le haut. Les longues soupentes en cuir inspirèrent l'idée du ressort horizontal et du ressort coudé.

Les ressorts, diminuant la vibration de la caisse, permettent de la faire moins solide et, partant, plus légère.

« Quand une roue, avec des ressorts, rencontre un obstacle, dit Thrupp pour expliquer leur action sur le tirage, l'élasticité des ressorts amortit le choc et permet à la roue de passer sans soulever tout le poids de la voiture. »

Un certain Samuel Pepy, Anglais, grand amateur de voitures, parle dans ses mémoires des avantages des voitures à ressorts qu'il a essayées en 1665 et de la facilité avec laquelle elles dépassent les autres. Il y a des traits curieux dans ces mémoires, par exemple :

« Avril, 3o. 1669. Été, dit-il, chez le carrossier et trouvé des dames « assises dans une voiture qui doit être finie demain, Madame la marquise de Winchester et Madame Bellasis, mangeant du pain et du beurre et buvant de la bière. L'argenture de ma voiture est terminée mais il n'y a pas encore de vernis. Je suis resté jusqu'à ce que les peintres l'y eussent mis, à huit heures du soir. Ce vernis sèche à peu près aussi vite qu'on l'applique. J'ai envoyé le soir même mon cocher et mes chevaux pour amener la voiture chez moi. »

Cependant les ressorts ne prirent que lentement de l'extension en Angleterre. Quant à la France, on voit dans un traité de carrosserie, écrit par Roubo en 1770, qu'ils n'y étaient employés encore que partiellement à cette époque. Ils étaient adaptés aux moutons des voitures anciennes et placés verticalement ; les courroies de suspension allaient du bout supérieur des ressorts s'attacher directement au fond de la caisse ; et comme les courroies étaient fort longues, on se plaignait beaucoup des mouvements de la machine.

Roubo doutait encore que les ressorts servissent à grand'chose.

Règne des archiducs Albert et Isabelle, XVIIe siècle. - Voiture anversoise - Patache.

Il semble qu'à beaucoup de points de vue, la carrosserie n'était guère moins avancée dans le courant du XVIIIe siècle qu'aujourd'hui. Les bois de construction étaient choisis avec grand soin, la forme des caisses et la flèche des panneaux étaient réglées par des dessins fort soignés, les châssis des portières fort bien faits.

Les voitures, à cause de la tige qui unissait l'avant et l'arrière du train, devaient être suspendues très haut. Les berlines dont la caisse pendait entre les deux brancards du train pouvaient descendre plus bas.

La rapidité, grande pour le temps, d'un coche qui allait de Paris à Lyon, lui fit donner le nom de diligence qui était attribué antérieurement, à des voitures plus légères que le carrosse, et qui a été rendu, plus tard, à ces doubles coches de voyage que nous avons tous encore vus.

En Belgique, le XVIIIe siècle nous montre encore la longue patache de voyage à quatre roues, bordée d'osier, à paniers latéraux, et à rideaux que l'on relève par le beau temps.

Il faut dire un mot de la chaise de poste, dont la caisse n'était guère plus grande que celle d'une chaise à porteurs et avait sa porte sur le devant, ferrée au fond, qui s'ouvrait en retombant du côté du cheval. Elle était suspendue sur deux grandes roues, très légères, et située en avant des roues ; les brancards étaient fort longs et le poids portant sur le cheval assez considérable. Le mode primitif de suspension consistait en courroies. Plus tard, la chaise fut supportée par des ressorts d'acier, deux ressorts droits par derrière et deux ressorts courbés unissant le devant de la caisse à la traverse qui joignait les brancards.

Le comte Gozzadini décrit le cabriolet qui fut introduit de Paris à Florence en 1672 : « Une machine ayant un siège courbe posé sur deux longs brancards flexibles qui s'appuyaient par un bout sur un cheval et par l'autre sur deux roues. »

Il y avait aussi des cabriolets fermés qui ne consistaient qu'en une « coquille », surmontée d'un « capuchon » composé de trois cerceaux de fer qu'on pouvait monter ou descendre.

On se préoccupait déjà, alors, de construire chaque voiture aussi légèrement que le permettait la nature du terrain qu'elle était destinée à parcourir. On reconnaissait que c'était folie de faire tirer aux chevaux un poids inutile.

La question de l'influence des roués sur l'état des routes avait été mise sur le tapis depuis longtemps. Vers la fin du XVIme siècle, en Angleterre, la circulation des longs chariots de voyage avait donné lieu à une grande querelle entre les propriétaires de chariots et les entrepreneurs chargés de l'entretien des routes.

Ceux-ci se plaignaient que les lourds chariots à roues étroites creusaient des ornières qui atteignaient parfois un pied de profondeur. La question fut portée devant le Parlement, qui encouragea le développement des roues larges en les exemptant des péages et persécuta les propriétaires de chariots à roues étroites.

Il recommanda les roues de seize pouces de large à la jante, croyant qu'elles feraient l'office de rouleaux et aplaniraient les chemins.

On a le dessin d'un chariot de 1763, à quatre roues, avec un essieu antérieur très court, et tel que le plan extérieur des roues de devant corresponde au plan intérieur des roues de derrière. Les roues ont chacune quinze pouces de large à la jante, et le chariot trace sur la route un sillage qui n'occupe pas moins de cinq pieds.

Après plusieurs années on reconnut l'inconvénient de forcer les charretiers à transporter partout ces roues larges et pesantes et on leur laissa le soin de choisir des roues assez étroites pour rouler légèrement et assez larges pour ne pas enfoncer dans le terrain et ne pas abîmer les chemins. On reconnut qu'ils étaient les premiers intéressés à trouver la solution du problème.

Règne des archiducs Albert et Isabelle, XVIIe siècle. - Diligence avec son escorte.


CHAPITRE XII

Je touche à l'époque contemporaine.

Les voitures se multiplient à l'infini et la carrosserie acquiert toutes ses méthodes de construction actuelles.

Les éléments des voitures deviennent de plus en plus solides, légers, logiques.

L'industrie du fer qui se perfectionne apporte un puissant concours à leur construction.

Les roues restent très grandes encore pendant longtemps.

Le train affecte la forme en col de cygne pour laisser évoluer les roues antérieures.

Le ressort courbé et le ressort à boudin dans les courroies de suspension deviennent communs.

Les voitures de voyage gardent pour longtemps encore, une sorte de bosse, d'excroissance postérieure qui est la caisse aux armes. C'est fort laid, mais indispensable, paraît-il, en présence des mauvaises rencontres dont l'histoire des voyages est pleine.

En 1757 arrive d'Allemagne une voiture qui obtient un grand succès. Elle est à deux fins, et peut être à volonté fermée ou découverte. Elle a deux soufflets de cuir qui peuvent s'ouvrir à quarante-cinq degrés. Ce cuir, il est vrai, doit être abondamment graissé pour rester souple et présente un contact assez désagréable ; mais l'avantage d'une voiture pouvant servir par tous les temps fait aisément passer sur cet ennui. C'est le landau, tant perfectionné et encore si répandu de nos jours.

Vient le phaéton, voiture à quatre roues, où le maître conduisait lui-même, et verse à plaisir. Le phaéton est très recherché par les jeunes gens, et il y en a de plusieurs espèces, plus ou moins dangereuses.

A noter que la plupart des voitures d'alors servent aussi bien en voyage qu'à la ville. Pour voyager on y attache des coffres par derrière et par dessus. Elles sont disposées en conséquence.

Les gens de qualité ont des voitures de voyage spéciales, munies de tout ce qu'il faut pour loger de nombreux bagages, garnies à l'intérieur de filets, de caves, de garde-manger, et offrant des dispositions pour transformer les banquettes en lits au besoin.

En 1804, grand progrès ! Obadiah Elliot, carrossier à Lambeth, suspend les voitures sur des ressorts en acier elliptiques, qui unissent directement les essieux à la caisse et suppriment le train, c'est-à-dire toute cette charpente qui rendait les essieux solidaires l'un de l'autre.

En 1818, Windus ajoute aux ressorts courbes d'autres ressorts placés sous le train. On débarrasse ainsi le train des chocs directs qu'il éprouvait dans les voitures qui n'avaient que des ressorts courbes, et on complète, par les ressorts courbes, l'action des ressorts elliptiques insuffisants dans les mauvais chemins. Le huit-ressorts est trouvé.

On garnit le bout des essieux de boîtes qu'il ne faut plus graisser qu'à de longs intervalles, et auxquelles on ne se salit plus comme aux moyeux gras des charrettes.

En 1820, le célèbre carrossier anglais, Samuel Hobson, diminue les roues et abaisse la caisse pour qu'on puisse entrer dans les voitures avec un double marchepied au lieu de l'échelle à trois degrés qu'il fallait autrefois.

On se passionne pour la briska, - pour le stanhope, à deux roues, dont les doubles ressorts doivent amortir le mouvement produit par la marche du cheval ; - pour le tilbury ; - pour le dog-cart ; - pour le tandem, et pour cette espèce particulière de tandem où le groom est assis à trois pieds au-dessus du conducteur et qu'on appelle : suicide !

En Angleterre, les commis-voyageurs courent les routes avec leurs échantillons dans des voitures à deux roues.

En 1824, le roi George IV désire un phaéton bas ; on lui construit un panier, et le panier devient populaire. Il a retrouvé des moments de vogue.

La droschka, plus légère que la briska, lui succède ; puis apparaît le milord, qui est devenu la Victoria, lorsqu'il a été remis à la mode à Paris, en 1869, par le prince de Galles et M. de Rothschild ; puis le brougham, variété du coupé ; puis la clarence, coupé de famille.

En 1845, voici les wagonnettes dans lesquelles on roule de côté ; excellentes voitures, commodes et légères, d'un caractère patriarcal, où on loge beaucoup de monde en peu de place.

Les Anglais voyagent en mail-coach. Tout le monde connaît ce véhicule curieux. Quand il fait beau, les maîtres sont sur les sièges et les domestiques à l'intérieur ; si le temps se gâte, les domestiques sortent et les maîtres rentrent. Tous les Bruxellois connaissent le célèbre mail-coach de Waterloo.

Je trouve chez un auteur français, Deharme, une grande admiration pour cette sorte de voiture, tandis qu'un Anglais, Thrupp, en dit le plus grand mal, les déclare lourdes, dangereuses, peu pratiques.

C'est d'Angleterre que sont originaires la plupart des voitures modernes. La France a pourtant eu ses types propres : la gondole, grande boîte mal éclairée, dans laquelle on entassait douze personnes ; la dormeuse dont le fond et le devant étaient à charnières ; le fond s'abaissait sous les reins du voyageur, une niche se formait devant ses pieds et il pouvait s'étendre ; et à partir de 1818, les grandes diligences à trois compartiments, coupé, intérieur et rotonde, surmontées d'une impériale pour les bagages et d'une banquette pour les fumeurs.

Les cabriolets qui ont été abandonnés pendant quelque temps, font fureur au XVIIIe siècle. Dans un livre du temps, Proserpine demande à Mandrin ce qui se passe sur la terre.

« Il n'y a rien de nouveau, lui dit Mandrin, que les cabriolets. C'est le goût à la mode, la fureur de tout Paris.

« - Hé ! reprit Proserpine, comment sont faits ces cabriolets ?

« - Madame, continua Mandrin, c'est une voiture légère qui n'a que deux roues et un cheval. On y est à découvert ; le maître fait les fonctions de cocher ; mais il faut qu'il ait le chapeau à l'écuyère, c'est-à-dire une longue corne par devant et le bouton par derrière, des gants gris, la manche de l'habit en botte étroite et le fouet à la main... Depuis ce temps, tout est cabriolet : frisures, coiffures, ajustements, perruques, tout prend le goût au cabriolet.... »

Domination autrichienne, XVIIIe siècle. - Voiture de voyage. - Fliguette et Chaise à porteurs.

Jusqu'en 1790, des fermiers généraux régissaient en France l'administration des postes. Elle n'employait alors que vingt-sept courriers, auxquels elle donnait mille livres par an, à charge de se fournir et entretenir de voitures. Ces voitures étaient de simples charrettes ouvertes dans lesquelles on plaçait la malle.

En 1791, l'Assemblée législative décréta l'établissement d'un service de postes sur toutes les routes. Il fallut construire pour cela cent et vingt voitures, et elles étaient singulières : imaginez un énorme panier d'osier, assez profond, surmonté de cerceaux en bois et d'une grosse bâche en cuir ; là-dedans, deux ou trois banquettes suspendues sur des courroies, le tout placé entre les brancards, porté par deux énormes roues et traîné par un gros limonier, un cheval en galère et un troisième cheval qui portait le postillon.

Aux relais, pour faire sortir le cheval, on renversait la voiture en arrière et les voyageurs roulaient les uns sur les autres : d'où le nom de panier à salade qui est resté.

Le postillon était encore, au XVIIIme siècle, dans toute sa splendeur. J'entends le postillon classique « à queue, à tresses, poudré, à jaquette bleue à revers, collet et retroussis écarlates,... à petits boutons en étain aux armes de France, à culotte de peau jaune ou verte, au chapeau ciré à blason et larges bords retroussés au-dessus des oreilles, aux grosses bottes à pompe et au petit fouet à nœuds. » Il disparait au commencement de notre siècle ; les grosses diligences sont conduites par des cochers, beaucoup moins brillants, débraillés souvent, mais qui, du haut de leur siège, mènent bien plus sûrement, à grandes guides, leurs quatre ou cinq chevaux.

Dès cette époque, s'il faut en croire Ramée, les accidents de voitures publiques deviennent beaucoup moins fréquents sur les grandes routes.

A Paris, les voitures publiques s'appellent successivement, citadines, urbaines, mylords, cabs, sans parler du cabriolet « où l'on avait le plaisir de causer avec le cocher. »

Sous la Restauration le fiacre est resté sale et délabré ; c'est généralement quelque ancienne voiture de maître mise au rancart. Après la révolution de 1830 paraissent les petits fiacres semblables aux petites voitures actuelles. La Compagnie acmelle des Petites Voitures de Paris a ses ateliers, ses machines, ses ouvriers et construit, pour son usage, environ cinq cents voitures par an.

Les carrosses à cinq sols reparaissent sous Charles X après plus d'un siècle et demi de disparition. Il n'est plus question cette fois d'en exclure ni pages, ni laquais, ni manœuvres, ni autres gens de bras ; aussi leur donne-t-on le nom d'omnibus. Les places y coûtent vingt-cinq centimes d'abord, puis sont portées à trente, tout comme celles des carrosses de Louis XIV.

Il a fallu cependant trois demandes, faites en 1819, en 1824 et en 1826 pour que les premiers omnibus obtinssent en 1828, l'autorisation de circuler sur le boulevard.

L'omnibus, dans sa forme actuelle, est une voiture des plus intéressantes, avec ses essieux coudés, ses marchepieds, son impériale, tous ses détails de construction admirablement étudiés pour atteindre ce but : loger beaucoup de voyageurs à l'aise dans fort peu d'espace. La Compagnie des Omnibus de Paris fabrique aussi ses voitures elle-même ; il faut aux omnibus des chevaux spéciaux, offrant une force de résistance particulière pour satisfaire au travail très fatigant qu'ils ont à fournir.

On a calculé - en 1878 - que la mise en circulation d'une voiture nouvelle, avec ses chevaux, exige un capital de 56.810 francs, et la création d'une ligne de vingt voitures une somme de 1.100.000 francs.

On a calculé aussi que tout omnibus fût-il « complet » constamment depuis son point de départ jusqu'à son point d'arrivée, mettrait la Compagnie en perte. Il n'y a que le renouvellement des voyageurs durant le trajet qui produise un bénéfice.

En Angleterre, pendant longtemps, les lettres ont été transportées dans des valises par des courriers voyageant à cheval, à raison de trois milles et demi par heure.

En 1784, John Palmer fait remarquer au Gouvernement que la poste est le mode de transport le plus lent du pays et que la diligence partant de Bath par exemple, où il habite, à quatre heures, le lundi, délivre une lettre à Londres vers dix heures du matin le mardi, tandis que la poste ne la délivre pas avant le mercredi matin.

Après beaucoup de discussions, et les commissions nommées par le Parlement ayant bien déclaré que c'est impossible, on adopte le système de Palmer, c'est-à-dire le transport des lettres par les « mail-coaches ».

Les routes sont améliorées, en Angleterre, par Mac Adam qui substitue aux cailloux de toutes façons, employés jusque-là à leur confection, une couche de pierres dures cassées soigneusement en petits morceaux angulaires qui, sous le passage des gros chariots, s'encastrent les uns dans les autres et s'affermissent, tandis que les cailloux ronds glissent et s'échappent de dessous la roue et produisent des creux à la surface.

Les gentlemen continuent à conduire eux-mêmes pour leur agrément. Des voitures de façons variées, avec le siège surélevé, sont construites pour eux.

En Irlande, Bianconi crée des voitures de voyage longues à quatre roues, où les voyageurs sont assis de côté et placés dos à dos, avec les bagages empilés dans l'intervalle qu'ils laissent. Quand les bagages montent un peu haut il y a un côté de la route dont la vue leur échappe complètement.

Ce n'est qu'en 1823 que l'on voit à Londres des cabs à deux roues. Les voitures publiques sont encore presque toutes de vieilles voitures de maître dont beaucoup ont conservé leurs armoiries. Les cochers portent de grands manteaux avec une série de pèlerines en cascade pour leur garantir les épaules et le torse de la pluie.

Il y a, en 1830, des cabs à un cheval, avec une porte derrière, faits pour deux voyageurs assis face à face, avec le cocher sur l'impériale. Les cabs ont l'air « d'une tranche d'omnibus ».

Puis vient la clarence ; le hansom-cab, à deux roues, placé à ras de terre pour qu'il ne puisse verser est fort en faveur ; puis la Victoria découverte de place.

Les premiers omnibus de Londres datent de 1822. Thrupp, appréciant l'omnibus moderne, dit que c'est sans doute la voiture la plus légère et la plus solide du monde pour transporter vingt-huit personnes à raison d'environ huit milles à l'heure sur les grandes routes et qu'elle l'emporterait facilement, à la course, sur les anciens stage-coaches.

A Vienne, les voitures de place se distinguent par leur propreté, leur légèreté, la rapidité de leurs chevaux et la politesse de leurs cochers. Elles roulent un train d'enfer, traînées par des bêtes maigres, au trot allongé, que leurs conducteurs traitent généralement assez bien. Les cochers viennois affectent de frôler les bornes, les trottoirs, les gens, les voitures de leurs confrères et en général tout ce qui peut donner lieu à des accrochages ; seulement ils n'accrochent jamais, j Ils mettent de la coquetterie à arrêter toujours très court, à un cheveu des obstacles, s'il s'en présente, ou même lorsqu'il n'y a aucun obstacle et qu'ils savent parfaitement le but de leur course.

Cette façon de rouler ne manque pas, les premiers jours, de vous faire éprouver un certain malaise ; puis voyant qu'il n'en résulte pas d'inconvénient, on s'y fait ; on la trouve même amusante.

Domination autrichienne, XVIIIe siècle. - Musique. - Anes porteurs. - Chaise de poste.

Je me rappelle que tombant à Vienne, pour la première fois, un premier dimanche de mai, jour de Corso au Prater, je me confiai, après avoir pendant deux heures vainement cherché par la ville une voiture disponible, à un maraudeur en loques qui menait une sorte de calèche prodigieusement délabrée attachée par des ficelles et de vieilles bretelles à un cheval blanc, ou plutôt blanchi par l'âge, qui était bien la bête la plus cadavérique que j'ai jamais vue. Je m'estimais heureux si cet équipage pouvait me mener au pas. Mais je n'y fus pas plus tôt monté, que cheval et cocher devinrent enragés. Je me vis emporté comme en un tourbillon, coupant les files, au mépris des ordonnances, dépassant les beaux attelages, brûlant le pavé, dans cette machine qui faisait un bruit de ferraille épouvantable.

Des agents de police à cheval nous faisaient des signes furibonds ; mais nous allions toujours ; ils voulurent galoper après nous, mais ils perdaient trop de terrain ; j'essayais d'arrêter mon homme. Impossible ! Je savais à peine quelques mots d'allemand et il ne parlait que le hongrois. Soudain, il se mit à crier avec enthousiasme : « Die Koïserenne !... die Koïserenne !... » si je puis rendre la prononciation ; et il me montra une fort jolie femme à cheval qui galopait en avant de nous. C'était l'impératrice Elisabeth pour laquelle tous les Hongrois en général, et les cochers en particulier, professent une admiration frénétique.

Mon maraud était en train de suivre l'impératrice, au grand trot, à travers une foule compacte, et j'eus beau me démener, il me la fallut suivre jusqu'au bout, et par miracle nous n'écrasâmes personne. Il me ramena à mon hôtel, ne fit aucune réclamation sur le prix que je le payai, me remercia avec attendrissement, me salua presque à terre, et disparut.

Je n'avais pas eu à m'en plaindre, après tout, car il m'avait fait voir plus de pays, en trois heures, je pense, qu'aucun cocher au monde ne m'en fera voir jamais. Comme je m'en étonnais, on me dit qu'il n'y avait rien de particulier, et que c'était un vrai cocher viennois. J'en ai trouvé d'autres fort honnêtes et fort serviables par la suite, et ce n'est pas je crois, l'une des choses les moins curieuses dont je puisse parler ici.

A Bruxelles, l'amélioration des voitures publiques a suivi d'assez loin celle des voitures de Londres et de Paris. On se rappelle les légendaires vigilantes, si sales, si lourdes, si lentes, avec leurs cochers rogues, leurs chevaux poussifs, et leurs tarifs fantastiques. On sait la peine que nous avons eue à obtenir des voitures propres et légères et ce que cette révolution à coûté à la société, dite du Monopole, qui l'avait entreprise.

On n'a pas oublié l'origine de nos omnibus, nos premières lignes zigzaguant à travers la ville, mettant une heure et demie pour aller de Molenbeek à Ixelles, et montant solennellement la rue de Namur avec un postillon qui jouait de la trompette sur le cheval de flèche.

On se rappelle aussi l'introduction de nos omnibus actuels, l'événement que faisait à la station centrale le départ des voitures, et, les premiers jours, les places prises d'assaut, les bagarres de chaque embarquement, la foule rassemblée pour assister à la solennité du départ et attendant avec anxiété le coup de sifflet qui donnait le signal ; puis ce cocher anglais qui menait si grand train, en montant et descendant la Montagne de la Cour, ses quatre chevaux tout neufs ; c'était un personnage, ce cocher, et la jeunesse des écoles, j'en étais alors - se disputait l'honneur d'être assise à côté de lui sur le siège et de lui faire accepter des cigares et même de petits bouquets de violettes. Il est juste de remarquer que notre Montagne de la Cour est l'un des plus dangereux casse-cou qu'il soit donné à un omnibus de parcourir dans une ville civilisée.

Domination autrichienne, XVIIIe siècle. - Chaise à porteurs. - Tombereaux de gros roulage. - Vinaigrette. - Coupé de voyage.


CHAPITRE XIII

En Amérique, les voitures affectent des types spéciaux. Tout y est sacrifié à la légèreté. Le cheval conserve beaucoup plus de liberté que chez nous. Thrupp trouve que notre façon d'atteler les chevaux de près, de les emprisonner dans leur harnais, de les empêcher de voir clair a été fort surfaite. Un cheval qui trébuche a peine à se remettre, avec tout cela. Il tombe, est souvent entraîné par la voiture et blessé. Nous donnons trop d'importance à la facilité de tourner court.

Il croit encore qu'il n'est d'aucune utilité pour le cocher d'être à peu près debout sur son siège. En Amérique, en Russie, dans des parties de l'Allemagne, le cocher est assis beaucoup plus bas, mais il a un point d'appui pour les pieds, et il ne court point ainsi le danger constant d'être précipité par dessus ses chevaux en cas de choc ou de collision. La sécurité des cochers russes en particulier est bien plus grande que celle des nôtres, et ils n'en conduisent pas plus mal.

Pourquoi encore nos cochers, sauf dans des cas exceptionnels, ne sont-ils pas à couvert ?

L'Amérique offre un bien curieux spécimen de voiture ; c'est le buggy. Il y a deux ressorts elliptiques transversaux. Les essieux et le train sont réduits à la plus simple expression. Les rais sont légers « comme des pattes de faucheux » ; les jantes en bois courbé à la vapeur sont faites de deux pièces. Un homme suffit pour relever le buggy s'il vient à verser. Les quatre roues ont à peu près la même hauteur, et la caisse est suspendue entre elles ; le timon ou les brancards sont reliés directement à l'essieu antérieur, ce qui permet encore de supprimer quelques pièces.

Le cheval est attelé à l'avant des brancards. Le buggy est quelquefois fermé ; alors, les côtés sont de cuir fin que l'on peut relever ; l'ensemble de la voiture est si élastique qu'elle franchit tous les obstacles, et en même temps fort durable. On ne lui peut reprocher qu'un ballottement assez violent sur les mauvaises routes ; mais d'autres voitures n'y passeraient pas. Tous les éléments du buggy sont faits à la mécanique, ce qui permet de le vendre fort bon marché.

J'ai déjà dit l'avantage des grandes roues sur les petites : elles frottent moins au moyeu, descendent moins dans les creux de la route, ne doivent donc pas être remontées autant, franchissent plus facilement les obstacles et atténuent les cahots.

Une charge donnée roule plus aisément sur quatre roues que sur deux, parce que s'il y a quatre roues et qu'une d'elles descende dans un creux, ce n'est que le quart de la charge qu'il faut relever, tandis qu'avec deux roues c'est la moitié. Deux roues font subir aux brancards plus de mouvements horizontaux que quatre ; puis, sur les pentes, les voitures à deux roues pèsent sur le cheval et sur les rampes elles tendent à le soulever.

Dans tous les cas, les grandes roues d'une voiture doivent être les plus chargées. C'est donc un préjugé de se figurer que l'on diminue l'effort de traction en plaçant l'avant-train d'une voiture aussi loin que possible vers l'arrière ; au contraire, pour charger les grandes roues, ce sont celles-ci qu'il faut faire avancer sous le coffre.

Une autre invention encore dont je n'ai pas parlé, c'est celle des freins qui ont remplacé, le sabot primitif ; il est inutile d'en énumérer tous les avantages.

Mais avant de quitter les voitures, il faut que je transcrive quelques détails relatifs à l'un des derniers et plus curieux spécimens de voitures qui étaient employées pour les petits voyages. Je veux dire le coucou, si répandu jadis dans la banlieue de Paris.

« Qu'on se figure une boîte jaune, verte, brune, rouge ou bleu de ciel, ouverte par devant, ayant deux mauvaises banquettes qui jadis avaient été rembourrées, sur lesquelles prenaient place six infortunés voyageurs. Sur les côtés, il y avait à droite et à gauche un ou deux carreaux pour donner du jour et en été de l'air. Lorsque l'intérieur était suffisamment pourvu de monde, on rabattait ce tablier de devant fixé sur châssis de charpente et recouvert de tôle de fer. Sur ce tablier était assujettie une troisième banquette sur laquelle s'asseyait le cocher du coucou et deux voyageurs qu'on nommait lapins. Quelquefois, dans de grandes circonstances, lors du jeu des grandes eaux à Versailles, ou de la fête des loges, par exemple, on voyait monter encore deux ou trois voyageurs sur l'impériale du coucou.

Règne de Guillaume Ier des Pays-Bas, XIXe siècle. - Poste royale des Pays-Bas. Cabriolet. - Chariot des vins. - Chariot de houille.

« Les malheureux, ainsi juchés en l'air, étaient nommés singes ; ils descendaient à une certaine distance en dehors de la barrière ; car les règlements de police défendaient absolument les singes afin de prévenir les malheurs. Le coucou avait conservé les soupentes primitives, mais modifiées au XVIIIe siècle, adaptées à un brancard massif fixé sur un essieu, sur lequel tournaient deux grandes et fortes roues. L'unique et malheureux cheval qui traînait péniblement cette lourde machine chargée de neuf et souvent de douze personnes, en faisant quatre et cinq lieues, était le plus ordinairement dans le plus grand état de décrépitude... Par ironie, sans doute on lui avait donné quelquefois le nom de vigoureux...

« Le coucou ne partait ordinairement de sa station que lorsqu'il était complet. Le cocher avait beaucoup de peine à meubler sa boîte du premier voyageur. Il lui fallait une très grande habileté à le persuader qu'il ne tarderait pas à compléter sa voiture et pour un Parisien pur sang, il était assez difficile de lui faire accepter la logique du cocher... Quand on avait attendu un quart d'heure, on descendait, on gourmandait le pauvre cocher qui, d'ordinaire, ne voyait pas venir d'autres voyageurs pour l'instant, mais qui avait néanmoins le talent de faire croire qu'il s'en présentait au loin. On prenait patience, et au bout d'une demi-heure, le coucou se mettait enfin en route... Quand il n'était pas encore complet, et que les voyageurs pressaient le cocher de se mettre en marche, il partait lentement en regardant à droite et à gauche derrière la voiture en faisant semblant de voir accourir un voyageur imaginaire...»

Il fallait avoir voyagé en coucou pour comprendre toute la douceur des chemins de fer qui vinrent, au début du second tiers de ce siècle, dissiper coucous, diligences, chaises de poste et le reste et révolutionner les voyages et les transports.

Règne de Guillaume Ier des Pays-Bas, XIXe siècle. - Coupé de poste. Diligence des messageries royales des Pays-Bas (J.-B. Van Gend et Cie, 1827). - Voiture de voyage.


CHAPITRE XIV

Il est inutile de s'étendre ici sur l'importance des chemins de fer. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'ils ont changé la face du monde, et c'est une démonstration qui n'est plus à faire. Je n'entrerai pas non plus dans de longues considérations techniques.

Le tracé d'un chemin de fer est plus difficile que celui d'une route ordinaire, parce que le chemin de fer ne comporte que des pentes moins fortes et des courbes moins accentuées. On est donc moins libre de détourner la voie ferrée, de la faire, monter ou descendre pour franchir les accidents du terrain. De plus l'établissement de la voie ferrée coûte fort cher ; il faut donc que la ligne soit aussi courte que possible, d'autant plus que la vitesse étant la première condition à réaliser, on ne peut faire prendre aux trains de bien longs détours.

A moins qu'on n'opère sur un terrain plat, uni et d'une consistance suffisante, il est toujours difficile de faire accorder la configuration de la voie avec celle du terrain. On n'y arrive même jamais complètement.

Quand le terrain s'abaisse trop brusquement il faut faire porter la voie sur un remblai qui, pour peu qu'il atteigne quelque hauteur, coûte fort cher à établir et, avec ses talus, couvre une bande de terrain considérable ; à tel point qu'à partir d'une certaine élévation il est moins coûteux de faire porter la voie sur un viaduc en maçonnerie ou en fer que sur un remblai.

Quand ce terrain s'élève il faut livrer passage au chemin de fer en creusant une tranchée, et pour peu que la tranchée y soit profonde elle entraîne aussi un travail considérable ; à partir d'une certaine profondeur, il est plus expéditif et plus économique de percer un tunnel. Notez que chaque fois qu'un remblai traverse une vallée, il faut y ménager des percées pour permettre aux eaux de la vallée de s'écouler de l'amont à l'aval ; si la vallée donne passage à un cours d'eau important, il faut le franchir sur un viaduc dont la construction offre parfois les plus grandes difficultés et il a fallu attendre les progrès modernes de l'industrie du fer avant de songer à construire ces ponts contemporains dont les arches énormes ne portent que sur quelques rares points d'appui.

Pour établir ces points d'appui même, il a fallu que le génie moderne eût imaginé le système des fondations par l'air comprimé. Depuis quelques années, on s'est mis à construire, pour les petits parcours, beaucoup de chemins de fer à voie étroite et à petit matériel. Le petit matériel tourne facilement dans les courbes accentuées, et ses locomotives, relativement fortes, remorquent les trains sur de fortes rampes.

La voie, admettant de fortes rampes et des courbes de petit rayon, est donc d'un établissement plus facile, exige peu de remblais et de déblais, peut souvent même se poser sur une route ordinaire.

C'est le cas pour les chemins de fer dits vicinaux, qui ont été décrétés chez nous.

Il faut remarquer que si la dépense d'établissement est restreinte, avec ce genre de voie, les frais de traction, c'est-à-dire la dépense de combustible et l'usure du matériel, sont augmentés. Sur les lignes à trafic réduit, l'économie de charbon ne peut pas compenser le surcroît de frais qu'entraînerait l'établissement d'une voie à profil régulier. Il y a donc de l'avantage à tolérer les courbes accentuées et les fortes rampes.

Sur les lignes à grand trafic, à trains considérables et fréquents, on trouve, aux grands frais d'un premier établissement, une compensation suffisante dans les conditions favorables d'exploitation qui en résultent.

On voit par là de quelles circonstances il faut tenir compte pour établir un chemin de fer, et encore n'est-ce là qu'une partie des données du problème. Il faut évaluer d'avance les dépenses et les produits de l'affaire, tenir compte des changements que la voie ferrée provoquera dans la physionomie de la région qu'elle traverse, car peut-être elle y amènera des industries nouvelles, en modifiera la population. Ce sont des avantages qu'il faut escompter d'avance. Mais il y a de nombreux mécomptes.

Les chemins de fer ne furent pas admis d'emblée. Les nombreux intérêts qu'ils lésaient soulevèrent contre eux, à l'origine, une opposition formidable. On déclara que les flammèches des locomotives mettraient le feu aux toits de chaume des paysans, que leur fumée tuerait les récoltes, que les trains écraseraient le bétail, qu'ils feraient déserter les campagnes et les appauvriraient au profit des villes, qu'ils ruineraient les maîtres de poste et les éleveurs de chevaux ; On les considéra comme une invention diabolique, pleine des plus grands dangers.

Arago, un savant pourtant, fit remarquer que les voyageurs ne pourraient passer des tranchées dans les tunnels sans s'exposer à des refroidissements suivis de pleurésies.

Règne de Guillaume Ier des Pays-Bas, XIXe siècle. - Musique de postillons. - Voiture de poste. - Voiture de voyage.

Thiers, qui était ministre des travaux publics et qui était allé voir, pour son édification, le chemin de fer de Liverpool, disait : « Il n'y a pas aujourd'hui huit ou dix lieues de chemin de fer en France et pour mon compte, si l'on venait me dire qu'il s'en fera cinq par année, je me tiendrais pour fort heureux ... Il faut voir la réalité ; c'est que même en supposant beaucoup de succès aux chemins de fer, le développement ne serait pas ce que l'on avait supposé. » « Vous voulez que je propose aux Chambres de vous concéder le chemin de fer de Rouen », disait-il encore deux ans plus tard, « je ne le ferai certainement pas ; on me jetterait en bas de la tribune. »

Chez nous, pour ne pas aller jusqu'aux mêmes extrémités qu'ailleurs, pour s'abstenir des émeutes, l'opposition ne laissa pourtant pas d'être sérieuse. L'une des objections les plus curieuses qu'on y fit aux chemins de fer, c'est que les trains n'auraient jamais pu rouler pendant la nuit !

Rogier dut vaincre une opposition considérable pour faire décréter par la Chambre en 1834 l'établissement de notre première voie ferrée.

Le Journal de Charleroi a donné, le 12 octobre 1880, un article bien curieux, signé H. Van Moorseel, et dont les renseignements sont dus aux souvenirs personnels d'un ancien fonctionnaire supérieur des chemins de fer de l'Etat, M. Louis Van Moorseel qui fut le premier chef de la station de l’Allée-Verte à Bruxelles où aboutissait notre plus ancienne voie ferrée, et par conséquent le premier chef de station de la Belgique. Il s'agit des premiers trains qui circulèrent chez nous et qui furent semblables aux fameux trains de 1835 qui figuraient dans le Cortège des moyens de transport.

« Lorsqu'on se reporte à l'époque des débuts des chemins de fer, dit M. Van Moorseel, on a de la peine à se figurer ce que l'idée de chemin de fer représentait alors à l'esprit de ceux qui n'en avaient jamais vu.

« La jeune génération actuelle est née avec les chemins de fer, les a toujours vus et les trouve tout naturels.. Ses parents n'étaient pas de cet avis.

« Le nouveau système de locomotion paraissait étrange. La vitesse surtout inspirait à beaucoup de personnes de la crainte et même de l'effroi.

« Aussi voyait-on parfois des voyageurs naïfs, montés pour la première fois dans un train, se cramponner à leur banc au moment du départ s'attendant à sentir la voiture s'élancer comme un boulet de canon, et ils étaient fort surpris de voir le train se mettre en marche fort lentement. Je dis lentement et non pas doucement car à cette époque les voitures n'étaient pas encore munies de tendeurs, appareils composés d'une double vis, qui relient les voitures entre elles en les serrant fortement buttoir contre buttoir. Ce perfectionnement ne fut introduit que plusieurs années plus tard.

« A l'origine, les voitures n'étaient réunies que par des chaînes laissant entre elles un certain espace, de sorte qu'au départ toutes les voitures recevaient successivement un choc dont le plus ou moins de violence dépendait de l'habileté du machiniste à se mettre en marche. Les voyageurs à leur tour éprouvaient un choc qui leur imprimait des oscillations d'autant plus prononcées que les bancs des voitures de 2me et de 3me classe n'avaient pas de dossiers.

« .... Quant aux voitures, il n'y en avait que de deux classes pendant les premiers temps.... »

« Mais les voitures de 1re classe que l'on appelait berlines furent retirées des trains peu de jours après l'ouverture de la ligne, personne ne s'en servant.

« On ne voyageait qu'en wagons car on n'allait en chemin de fer que par partie de plaisir, pour essayer ce nouveau système de locomotion, et, pendant les premières semaines, il y avait toujours foule au point qu'on devait, à chaque départ, arrêter la distribution des billets lorsque le nombre de places disponibles était atteint. Aussi les spéculateurs achetaient-ils des billets en grand nombre pour les revendre avec prime....

« Pendant la semaine, il y avait cinq convois par jour qui allaient de Bruxelles jusque près de Malines, en face du canal de Malines à Louvain, le pont sur ce canal n'ayant été achevé que bien des mois plus tard.

« Le dimanche, les trains se succédaient sans interruption. Aussitôt arrivés, ils repartaient et toujours chargés de monde.

« Les wagons dont nous venons de parler étaient des espèces de bacs à ciel ouvert, semblables aux wagons dans lesquels se transportent aujourd'hui les marchandises se chargeant à la pelle.

« En travers de ces bacs, il y avait des bancs en bois que l'on enjambait pour passer de l'un à l'autre et, chose presque incroyable, on pénétrait dans ces étranges véhicules au moyen d'échelles appliquées contre leurs parois aux stations de départ et d'arrivée.

« Ce système était par trop primitif ; au bout de quelques jours, l'échelle fut remplacée par une ouverture pratiquée au milieu des côtés du wagon et les voyageurs s'y introduisaient en mettant le pied sur une tringle de fer placée sous l'ouverture. Comme on glissait souvent sur cette tringle, on la remplaça par une marche en bois, et, peu après, on adapta une petite porte à l'ouverture qui servait d'entrée.

« Ces wagons ouverts, exposant les voyageurs au soleil et au vent, à la pluie et à la neige, restèrent en usage pendant environ dix ans. Ils furent remplacés par des voitures divisées en deux compartiments par une cloison et recouvertes d'un toit. Chaque compartiment avait cinq bancs dont un en travers et quatre en long.

« Sur les côtés, la voiture restait ouverte au vent et surtout au froid. On les fermait d'abord au moyen de rideaux, puis avec des plaques de tôle. Précédemment il y avait trop d'air. Le nouveau système présentait l'inconvénient contraire.

« Enfin on adopta le modèle en usage aujourd'hui, des compartiments à deux bancs, contenant dix voyageurs et ayant une porte de chaque côté, ce qui facilite considérablement l'embarquement et le débarquement.

« La ligne ne tarda pas à être ouverte jusqu'à Anvers ; on établit alors trois classes de voitures. La voiture de 3e classe ou « wagon » que nous venons de décrire ; celle de 2e classe, que l'on appelait char-à-bancs » et celle de 1re classe, que l'on nommait « diligence. »

Royaume de Belgique, XIXe siècle. - Chariot de Renaix. - Voiture royale (Léopold Ier, 1830).

« Les chars-à-bancs rappelaient un peu, à l'origine, les wagons, seulement ils étaient couverts et fermés, et les banquettes, très légèrement rembourrées, étaient recouvertes d'une étoffe de crin. Ces banquettes, placées en travers, prenaient toute la largeur de la voiture et n'avaient pas de dossier. »

II n'y avait toujours qu'une porte de chaque côté de la voiture il fallait enjamber les banquettes pour arriver au bout du wagon...

« Pendant bien des années, les gardes-convoi n'avaient pour circuler d'une voiture à l'autre, qu'une tringle de fer placée sous le bord inférieur des voitures. Sur cette tringle ils devaient faire glisser les pieds en se tenant par les mains à une seconde tringle placée au haut de la voiture, le long de l'impériale... »

« Nous rappellerons encore que les billets délivrés pendant les premiers temps aux voyageurs avaient été imités de ceux qui étaient en usage dans les services de messageries et diligences.

« Ils étaient coupés d'un livre à souches, d'où leur vint le nom de « coupons », nom que bien des personnes appliquent encore improprement aux tickets, dont on se sert aujourd'hui.

« Ces coupons, imprimés sur papier épais, n'étaient commodes ni pour les employés distributeurs, ni pour le public, entre les mains de qui ils se détérioraient rapidement, ni pour les gardes dont le contrôle consistait à en déchirer et à en conserver le talon.

« Toutefois, les billets employés pendant les premiers temps sur le chemin de fer du Nord en France, étaient bien plus incommodes encore. C'étaient de longues bandes de papier portant, l'un après l'autre, le nom de toutes les stations d'une ligne. A la distribution, l'employé coupait la bande au delà du nom de la station de destination du voyageur, à qui ce papier devait servir de billet, tandis que le surplus restait comme souche. Le voyageur avait un billet dont la longueur était en proportion directe avec la distance à parcourir.

« Les petits cartons en usage aujourd'hui, nommés « billets Edmondson » du nom de l'inventeur, ont été introduits pour la première fois en Belgique et peut-être sur le continent, en 1847, sur le chemin de fer de Bruges à Courtrai.

« Comme dernière observation, nous citerons un fait qui étonnera bien des hommes du métier :

« Pendant de longues années, les chemins de fer, dont beaucoup se trouvaient à simple voie, étaient exploités sans le secours du télégraphe, et il n'arrivait pas plus d'accidents ni plus de retards qu'aujourd'hui. Il est vrai que le trafic était beaucoup moins important ».


CHAPITRE XV

La voie comprend actuellement des rails fixés sur des traverses ou des longrines en bois ou en fer, noyées dans un lit de ballast ; ce ballast est une couche de gravier, de cailloux ou de pierrailles reposant sur la plate-forme des terrassements. Il y a pourtant des rails, comme le rail Barlow, posés directement sur le ballast.

Les voitures et les locomotives ayant augmenté de poids, il a fallu accroître en proportion la dimension des rails. Aujourd'hui on les fait bien souvent en acier pour qu'ils offrent plus de résistance.

On n'est arrivé que graduellement à ces dispositions. Les premiers rails employés à Newcastle à la fin du XVIIIe siècle étaient des ornières en bois. Le rail en bois s'usant trop vite, on le recouvrit d'une bande de fer. Puis le bois fut supprimé et l'on eut des ornières en fonte, plates avec un seul rebord à l'intérieur.

Jessop eut l'idée admirable de supprimer le rebord du rail et de le mettre à la roue. Les rails ne furent plus qu'une simple barre de fer, car le fer remplaça bientôt la fonte trop cassante. Les progrès de la science de la résistance des matériaux firent comprendre l'avantage d'évider le profil des rails et d'en reporter la matière vers le haut et vers le bas. On obtint ainsi le rail à champignons, fixé sur les traverses au moyen de coussinets en fonte. Puis on remplaça le champignon inférieur par un patin qui pouvait se poser directement sur les traverses. Le rail Vignole fut trouvé.

Les essieux des wagons de chemins de fer doivent être parallèles et les roues être fixées à ces essieux qui tournent, avec elles, dans des coussinets. De là la difficulté de faire passer les trains dans les courbes où ils ne peuvent avancer sans un certain glissement d'une des files de roues, sinon des deux, sur les rails.

Il existe actuellement des wagons de toutes les façons, ouverts et fermés, pour transporter tous les produits imaginables, hommes, malades, chevaux, bétail, gibier, beurre, lait, pétrole, naphte, charbon, viande, bière, que sais-je ?

On sait à quel point sont confortables nos wagons de voyageurs. Ils ne le sont devenus que par degrés. On voit encore aujourd'hui des wagons sur lesquels on charge des grandes voitures amenées à proximité par des chevaux et dites tapissières. Les chaises de poste et les diligences voyageaient de cette façon à l'origine des chemins de fer.

La route se faisait partie avec des chevaux, partie à la vapeur. Une grue soulevait la diligence, - dont on ôtait les roues, - et la déposait avec tout son monde sur un wagon.

A l'arrivée, une autre grue la reprenait, les roues étaient remises, on réattelait des chevaux et on repartait.

Ce système prêtait à la plaisanterie. Il y a dans une pièce de Duvert et Lauzanne, Ce que femme peut..., représentée pour la première fois en 1847, un récit de voyage - devenu célèbre - que fait un voyageur indigné de ce mode de transport. Je me ferais un crime de ne pas la transcrire. C'est toujours une partie curieuse de l'histoire des grandes inventions que les critiques qu'elles soulevèrent. Et celle-ci est si plaisante ! Un nommé Champignel - représenté par Arnal - raconte son aventure.

CHAMPIGNEL

Les chemins de fer ont supprimé les voleurs de grande route : les voyageurs ont changé de désagrément. Car, ma chère amie, une fois qu'on se confie à la mansuétude par actions, on abdique sa condition de citoyen ; on se croit une personne, on devient une chose... on s'embarque comme un homme, on voyage, comme un article.

ROSETTE

S'il est possible !

CHAMPIGNEL

D'abord, en arrivant à l'embarcadère, après avoir fait enregistrer mon bagage, je croyais avoir une minute à moi !... parce que j'aurais été bien aise... enfin j'aurais voulu avoir une minute à moi ! mais il paraît que j'étais en retard, le train allait partir, je n'ai que le temps de me jeter dans un wagon, j'entends tousser la locomotive, et nous voilà partis. - Après une heure de glissade le train s'arrête. - Je veux descendre, criai-je à pleine voix. « On ne descend pas, » me répond une casquette sous laquelle, je crois, il y avait un employé. - « Vous descendrez à Montereau, on ne s'arrête ici que pour renouveler l'eau de la chaudière » - « Mais, monsieur, répondis-je, bien que mon motif diffère essentiellement de celui de la chaudière !... je demande à fouler le sol... qui ne m'a point vu naître !... » Bah ! il était déjà loin ; la machine nous entraîne de nouveau dans toute l'ardeur de sa pituite. Obligé d'attendre Montereau ! une heure de chemin, soixante minutes, soixante siècles !... Pour tromper mon martyre, je me blottis dans un coin... et dire comment cela se fit, je n'en sais rien, mais je m'endormis. Combien de temps Morphée secoua-t-il sur moi ses bienfaisants pavots ? je l'ignore... Tout à coup !. . Haoup... je me sens réveillé par une secousse imprimée au wagon, - ô bonheur ! m'écriai-je. Nous voilà à Montereau. - Oui, monsieur, me dit un de mes voisins. - Cocher, je veux descendre ! j'ai affaire ! - A Joigny, monsieur !

Royaume de Belgique, XIXe siècle. - Premier train de 1835 entre Bruxelles et Malines.

ROSETTE

Comment, à Joigny ?

CHAMPIGNEL

Oui, ma chère, le convoi avait stationné pendant mon sommeil ; il repartait !... et nous n'étions qu'à moitié chemin.

ROSETTE

Ah ! mon Dieu, mon Dieu !

CHAMPIGNEL

Je voulais descendre plus que jamais ! A chaque kilomètre, dès que j'apercevais un cantonnier je tendais vers lui mes bras suppliants, je criais d'une voix déchirante : conducteur !... oh ! conducteur !... arrêtez !... pas un ne m'a répondu !... Enfin, après deux heures d'une torture dont l'Inquisition elle-même n'a pas laissé d'exemple, la ville de Joigny s'arrêta devant nous.

ROSETTE

Il était temps !

CHAMPIGNEL (avec une douloureuse confusion)

Non, Rosette, il n'était plus temps ! - Voilà l'agrément dont j'ai joui en chemin de fer... Je regrette ces relais.

Il y a loin de tout cela à nos bonnes voitures si douces d'aujourd'hui, à nos sleeping-cars, et à ces trains américains qui vont en sept jours de New-York à San-Francisco, et où il y a des cuisines, un restaurant, et des voitures dont les sièges se transforment en lits pour la nuit, sans parler de ce qui avait tant manqué à Champignel.

L'ancien courrier portant les dépêches sur son cheval ou dans sa charrette a été remplacé par le wagon-poste, bureau ambulant où des employés font en route le triage des lettres, et qui est maintenant muni d'un appareil accrochant à chaque station de la ligne, sans s'y arrêter le paquet de dépêches qu'elle a à expédier.

J'abrège aussi l'histoire de la locomotive ; je passe sur l'invention de la machine à vapeur, sur Salomon de Caux et Denis Papin et sur les voitures à vapeur qui précédèrent la locomotive. En 1773 Nicolas-Joseph Cugnot exécuta à Bruxelles un cabriot qui n'était mû que par le feu et la vapeur d'eau. Le duc de Choiseul, ministre de la guerre en France, le chargea de faire construire une grande voiture d'après les mêmes principes. Elle commença par renverser un mur qui se trouva sur son passage, ce qui dégoûta de l'invention.

Les essais d'Olivier Evans à Philadelphie en 1786 et ceux de Robinson en 1795 n'eurent guère plus de succès. Ce ne fut qu'en 1802 que Trevithik et Vivian dans les Cornouailles produisirent une voiture à vapeur à haute pression qui réussit mieux.

En 1811 Blenkinsop fit courir une voiture sur une voie composée d'un rail ordinaire et d'une crémaillère.

En 1814 Stephenson fit marcher une voiture à vapeur sur des rails unis. Sa locomotive The Rocket obtint le prix au concours de 1829.

En 1813 Brunton avait remplacé les roues motrices par des béquilles. Blockett étudia l'adhérence des roues aux rails et en 1814 Stephenson imagina d'utiliser toute l'adhérence en réunissant les roues par une chaîne sans fin.

Hackworth remplaça la chaîne par des bielles d'accouplement.

En 1827, Marc Séguin, ingénieur du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, inventa la chaudière tubulaire qui multipliait les surfaces de contact de l'eau avec le foyer et augmentait la production de vapeur.

Stephenson conduisit dans la cheminée, pour augmenter le tirage et l'activité du foyer, la vapeur qui avait agi dans les cylindres.

La voiture de Cugnot était une sorte de fardier à trois roues qui devait servir au transport des canons. La roue de devant était motrice et pivotante. La machine, qui existe encore au Conservatoire des arts et métiers à Paris, devait faire quatre kilomètres à l'heure.

Grâce aux dispositions indiquées ci-dessus et à leurs perfectionnements, la locomotive devint la machine élégante qu'elle est aujourd'hui.

Il existe différentes variétés de locomotives qui répondent à des exigences différentes : des machines à marchandises qui ne fournissent qu'une vitesse modérée mais une puissance de traction plus considérable que les machines à voyageurs faites pour remorquer plus rapidement des trains plus légers ; les machines de rampes sont plus lourdes encore que les machines à marchandises et présentent une adhérence plus considérable.

Il y a entre ces machines des différences analogues à celles qui existent entre les chevaux de gros trait, les chevaux de trait rapide, les chevaux de selle, les chevaux de course. Les machines de montagnes doivent être très puissantes pour franchir les rampes et se mouvoir facilement dans les courbes.

Des machines sans tender, portant elles-mêmes leur provision d'eau et de charbon, servent aux manœuvres des gares et aux petits trajets.

Sur les chemins de fer à voie étroite circulent encore de petites locomotives dont la forme varie à l'infini ; il serait impossible d'énumérer toutes les machines en usage aujourd'hui, depuis les locomotives minuscules employées sur les voies portatives qu'on place et déplace à volonté, jusqu'aux machines monstres semblables à la locomotive du Cinquantenaire, dont le fac-similé figurait sur le char colossal qui terminait le Cortège.

Un fait qui montre les perfectionnements apportés à la construction des locomotives : depuis l'origine des chemins de fer la quantité de combustible brûlée pour transporter une tonne à un kilomètre, a été réduite dans la proportion de 14 à 1.

Le cheval-vapeur, d'après De Harme, équivaut à soixante-quinze kilogrammètres, c'est-à-dire à soixante-quinze fois la force nécessaire pour élever, en une seconde, un poids d'un kilogramme à un mètre de hauteur.

La force du cheval vivant est évaluée à quarante-cinq kilogrammètres seulement.

Cependant, le cheval vivant ne peut travailler que pendant huit heures sur vingt-quatre.

Il faut donc plus de cinq chevaux vivants pour accomplir le même travail qu'un cheval-vapeur.

Les locomotives en usage aujourd'hui développent un travail constant de deux cents à trois cents chevaux-vapeur ; c'est-à-dire que chacune d'elles accomplit le travail de onze cents à seize cents chevaux vivants !

C'est plus que n'en occupèrent, pendant longtemps, toutes les voitures publiques de France et d'Angleterre.

Cartels des ministres des chemins de fer (1835-1885).


CHAPITRE XVI

L’effort nécessaire pour faire rouler un poids donné sur des rails étant, pour une voie horizontale, cinq ou six fois moindre que sur un pavé, on imagina qu'il y aurait une grande économie de traction à réaliser en faisant rouler les omnibus sur des rails. D'où l'idée des tramways, qui nous sont arrivés d'Amérique.

Le nom vient de tram, qui veut dire rail plat ; les rails, placés au niveau des voies publiques ne peuvent en effet offrir de saillie sans gêner la circulation.

Les tramways se sont développés dans toutes les grandes villes aujourd'hui sans donner lieu à des incidents particuliers. A Paris, ils datent de 1870, où un chemin de fer intérieur, construit pour les besoins de la défense de la ville, familiarisa la population avec cette nouveauté.

En Amérique, où l'on simplifie tout, les voitures des tramways n'ont pas de conducteur.

Près du cocher est placée une boîte où chaque voyageur dépose lui-même le prix de sa place. L'argent, en trébuchant sur une tablette métallique, est compté par le cocher.

Les voitures de tramway peuvent être beaucoup plus grandes et plus confortables que les omnibus sans exiger un effort de traction aussi considérable.

L'avantage de la traction mécanique à mis en vogue les tramways à vapeur ; puis sont venus les tramways mis en marche au moyen de l'air comprimé et de l'électricité. Nous avons eu à Anvers, pendant la durée de l'Exposition universelle de 1885, un concours de tramways où les principaux systèmes en usage étaient représentés.

Dans les grandes villes où les omnibus et les tramways ne satisfont pas aux besoins de la circulation, on y supplée par des trains de chemin de fer complets, souterrains ou aériens, comme le Métropolitain de Londres et le Metropolitan elevated railroad de New-York dont les trains roulent, depuis 1878, à raison de vingt-quatre kilomètres à l'heure.

Les essais de chemin de fer atmosphérique n'ont guère abouti. Je ne décrirai point tous les systèmes de chemins de fer spéciaux que l'on a imaginés.

L'un des plus puissants est celui du Righi, à crémaillère centrale, qui gravit des rampes de vingt centimètres par mètre.

On a refait des essais de la locomotive routière. En 1865 un système fut essayé à Paris. Bien que les inventeurs prétendissent que la traction avec leur système fut trois fois moindre qu'avec des chevaux, il n'est pas entré dans la pratique.

Je n'ajouterai pas de longues considérations. Je ferai remarquer seulement une moralité curieuse qui ressort de cette courte étude. C'est que, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, les gouvernements, l'autorité, le pouvoir, - à quelques bien rares exceptions près, - n'ont jamais fait qu'enrayer, empêcher et arrêter le développement et les perfectionnements des moyens de transport. Les moralistes et les gouvernements n'ont jamais vu dans la tendance de l'homme à aller en voiture, c'est-à-dire à aller vite et à épargner ses forces, qu'ostentation et mollesse ; ils n'ont jamais prévu les conséquences économiques gigantesques qui devaient résulter de l'établissement des moyens de transport faciles et rapides.

Les exceptions, comme Charles Rogier nous en a montré une chez nous, sont extrêmement rares.

C'est l'initiative privée qui a tout fait, et cela malgré les lois, les amendes, les édits et les vexations.

Je crois qu'il est bon d'engager à méditer là-dessus tous ceux qui sont atteints de la manie de réglementer toutes choses et qui croient que quand on a bien légiféré, bien arrêté, bien édicté et bien promulgué on a accompli de fameuse besogne, qu'on a tait marcher l'humanité, et qu'on change le cours fatal des choses avec des ordonnances écrites sur de petits morceaux de papier.

Char de l’apothéose des chemins de fer.


NOTE SUR LES COOPÉRATEURS

Qui ont apporté leur concours au Comité organisateur du Cortège.

Dans la préface du présent ouvrage, nous avons cité, outre les membres du Comité qui organisa le cortège, les principaux collaborateurs que s'adjoignit ce Comité. Il est juste de rendre hommage aussi à beaucoup d'autres personnes.

Sous l'excellente direction de MM. Bertin et Leurs, plusieurs officiers distingués mirent en action, avec un plein succès, un grand nombre de militaires et un certain nombre de civils.

Les soldats - beaux hommes pour la plupart - entrèrent dans leurs rôles... et dans les costumes de manière à produire vraiment l'illusion scénique.

Parmi les autres coopérateurs, nous croyons devoir citer notamment les suivants :

Diverses autres mentions spéciales ne sont pas moins légitimes :

La Compagnie Van Gend a construit, à prix réduits, un grand nombre des véhicules du cortège. Elle a prêté son personnel, un fourgon et des chevaux.

Plusieurs personnes ont obligeamment prêté divers véhicules anciens :

Autres prêts :

La Société de Marcinelle et Couillet était représentée par la petite locomotive du train minuscule. MM. Alphonse et Victor Halot, constructeurs, à Louvain, avaient envoyé les petits wagons remorqués par cette machine.

N'oublions pas les bœufs, - qui, paisibles quoique étonnés, ne soupçonnaient sans doute pas l'importance du rôle qu'ils jouaient, aux premiers rangs du cortège. - Ces estimables quadrupèdes furent prêtés par M. Dumont, de Chassart.

Nous sommes loin d'avoir la prétention de citer tous les noms qui mériteraient d'être cités ; au contraire, nous savons que nous en omettons beaucoup. La présente note sort du cadre de notre ouvrage ; nous espérons que, toute restreinte qu'elle est, elle donnera aux lecteurs, - suivant notre désir, - une idée suffisante des bonnes volontés qui se groupèrent (et qu'il fallait) pour mener à bonne fin la grande exhibition de 1885.

R.


TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE

PL. I. - Frontispice. - Bourse des métaux et des charbons.

PL. II. - Temps primitifs. - Sonneurs de conques. - Radeau.

PL. III. - Temps primitifs. - Traîneau. - Chevaux porteurs.

PL. IV. - Temps primitifs. - Chariot nervien avec escorte.

PL. V. - Sous Charlemagne, IXe siècle. - Litière avec escorte. - Joueurs de buccine.

PL. VI. - Sous Charlemagne, IXe siècle. - Char princier.

PL. VII. - Epoque des Croisades, XIe siècle. - Sonneurs de lituus. - Char de guerre.

PL. VIII. - Époque des Croisades, XIe siècle. - Civière. - Porteurs. - Mulets chargés.

PL. IX. - Époque communale, XIIIe siècle. - Voiture de voyage des dames nobles. - Sonneurs de bazuin.

PL. X. - Epoque communale, XIIIe siècle. - Équipage de chasse et porteurs.

PL. XI. - Époque communale, XIIIe siècle. - Chariot de transport de guerre et cavaliers.

PL. XII. - Époque communale, XIIIe siècle. - Voiture de dames.

PL. XIII. - Règne de la maison de Bourgogne, XVe siècle. - Voiture de voyage avec escorte.

PL. XIV. - Règne de la maison de Bourgogne, XVe siècle. - Litière de châtelaine.

PL. XV. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Char branlant.

PL. XVI. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Tambours et fifres de la Hanse.

PL. XVII. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Barge faisant le service sur le canal de Bruges à Gand.

PL. XVIII. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Litière.

PL. XIX. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Bannières de la Hanse et des villes Hanséatiques.

PL. XX. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Char de la musique des marchands.

PL. XXI. - Domination espagnole, XVIe siècle. - Chariots de transport de la Hanse.

PL. XXII. - Règne des archiducs Albert et Isabelle, XVIIe siècle. - Voiture Rubens et escorte.

PL. XXIII. - Règne des archiducs Albert et Isabelle, XVIIe siècle. - Voiture anversoise. - Patache.

PL. XXIV. - Règne des archiducs Albert et Isabelle, XVIIe siècle. - Diligence avec son escorte.

PL. XXV. - Domination autrichienne, XVIIIe siècle. - Voiture de voyage. - Fliguette et Chaise à porteurs.

PL. XXVI. - Domination autrichienne, XVIIIe siècle. - Musique. - Anes porteurs. - Chaise de poste.

PL. XXVII. - Domination autrichienne, XVIIIe siècle. - Chaise à porteurs. - Tombereaux de gros roulage. - Vinaigrette. - coupé de voyage.

PL. XXVIII. - Règne de Guillaume Ier des Pays-Bas, XIXe siècle. - Poste royale des Pays-Bas. - Cabriolet. - Chariot des vins. - Chariot de houille.

PL. XXIX. - Règne de Guillaume Ier des Pays-Bas, XIXe siècle. - Coupé de poste. - Diligence des messageries royales des Pays-Bas (J.-B. Van Gend et Cie, 1827). - Voiture de voyage.

PL. XXX. - Règne de Guillaume Ier des Pays-Bas, XIXe siècle. - Musique de postillons. - Voiture de poste. - Voiture de voyage.

PL. XXXI. -. Royaume de Belgique, XIXe siècle. - Chariot de Renaix. - Voiture royale (Léopold 1er, 1830).

PL. XXXII et XXXIII. - Royaume de Belgique, XIXe siècle. - Premier train de 1835 entre Bruxelles et Malines.

PL. XXXIV. - Cartels des ministres des chemins de fer (1835-1885).

PL. XXXV et XXXVI. - Char de l'apothéose des chemins de fer.

 


Notes

(note III) On remarquait notamment, au balcon du palais du Roi, un grand nombre de personnages distingués, - ingénieurs principaux, administrateurs, etc., - membres du Congres des chemins de fer ; fonctionnaires délégués en majeure partie par divers gouvernements et par les compagnies de chemins de fer de l'étranger.